AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Ogrimoire


Pour qui s'est un tant soit peu intéressé à La Chanson de Roland, il est acquis que cette chanson de geste a essentiellement eu pour objectif, au XIe siècle, d'attiser la ferveur des seigneurs européens que l'on voulait inciter à s'engager dans les Croisades. Rappeler alors l'histoire de Roland et de l'arrière-garde de l'armée de Charlemagne attaquée par les méchants Sarrasins au col de Roncevaux, 300 ans plus tôt, était de nature à répandre la sainte indignation que l'on voulait voir dirigée contre les Infidèles.

C'est cette histoire bien plus complexe – ce sont en réalité probablement des Basques (nos fameux vascons) qui ont attaqué l'arrière-garde à Roncevaux – dont s'emparent Jean-claude Bartoll, au scénario, et Eon, au dessin.

Et, en effet, la trame qu'ils élaborent est particulièrement complexe, puisqu'ils nous décrivent une situation encore bien plus complexe, dans laquelle les omeyyades s'opposent aux abbassides, les vascons aux francs, les wisigoths n'ayant probablement pas renoncé à être les arbitres du conflit. S'ajoute à cela une opposition dynastique au sein même de la famille de Charlemagne, Fastrade, quatrième épouse du futur empereur, ayant visiblement en tête de pousser ses enfants, déjà nés et à venir, vers le trône, même s'il y a déjà cinq fils nés des précédents mariages, y compris en employant des moyens radicaux… La reine semble décidée pour soutenir ses prétentions sur une saxonne, Brunhilde, missi dominici de Charlemagne. Mais cette dernière semble bien avoir ses propres ambitions.

Et c'est là où les choses se compliquent. Car si ce scénario semble en effet prometteur, il tord très considérablement la vérité historique. Brunhilde, une saxonne missi dominici ? « Pour maintenir son immense empire, Charlemagne créa un corps de fonctionnaires (missi dominici), dont il élimina les femmes », nous dit Andrée Michel [MICHEL Andrée, « La situation des femmes de la chute de l'Empire romain à la fin de la Renaissance », dans : Andrée Michel éd., le féminisme. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2007, p. 27-42]. Fastrade, reine après avoir épousé Charlemagne ? Oui, mais pas en 777, moment où se déroulent les événements relatés, puisqu'elle ne devient reine qu'en 783. Les scènes saphiques entre Brunhilde et Fastrade, puis le fait que les deux femmes partagent la couche de Charlemagne : assez peu probable, compte tenu des moeurs de l'époque.

Le débat n'est pas forcément celui d'une « vérité historique » qu'il faudrait ou non sacraliser. Mais l'épopée carolingienne semble en elle-même suffisamment riche pour ne pas avoir besoin de s'éloigner autant des faits avérés ou considérés comme tels. Cela, d'ailleurs, fait écho à un autre aspect en lien direct avec celui-ci : Eon nous propose, pour représenter les principaux personnages, de bonnes brutes bien médiévales ; les mines patibulaires ne manquent pas. En revanche, il ne nous présente qu'une galerie de bimbos, sculpturales, y compris lorsqu'il s'agit de paysannes faites prisonnières à l'occasion d'un raid…

Ce bémol n'empêchera pas de lire le deuxième tome. Mais ce n'est pas la version de l'épopée de Charlemagne que l'on recommandera à quelqu'un qui n'aurait pas déjà eu l'occasion de « fréquenter » le sujet…
Lien : https://ogrimoire.com/2023/1..
Commenter  J’apprécie          00







{* *}