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Critique de PatrickCasimir



SPQR : Billet du 19 novembre 2017

Chers Babéliens, un long billet que je soumets à votre patience


PRELUDE :

Où l'on apprend, comment le verbe de Cicéron détruisit Catilina ; comment, le début de son discours qui a traversé l'Histoire, le fameux "Quo usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? ", plane encore sur la réthorique protestataire du XXIème siècle, puisque même François Hollande en a fait les frais : Quo usque tandem abutere, François Hollande, patientia nostra ?

DIGRESSION LATINE :

Vous connaissez cet aphorisme que l'on trouve dans les pages roses du Larousse : «Doctus cum libro». Aphorisme dépréciatif autant qu'ironique. Aujourd'hui, si je devais faire du latin de cuisine (je ne suis pas latiniste et je ne demande qu'à être corrigé par vous), je me mettrais au goût du jour et j'écrirais : «Doctus cum rete Internet », ou peut – être : « Doctus cum "Internet". Comment traduire Internet en latin ?

Tout cela pour indiquer que si l'on peut se moquer de celui qui « fait son savant» avec les livres des autres, il est devenu plus facile, désormais, de se prétendre cultivé avec Internet. Mais, comment faire autrement ?

Ce que nous savons, nous l'apprenons dans les livres, ailleurs, par nos expériences et, de nos jours sur Internet. Ainsi, nous avons beaucoup appris des livres écrits par ceux qui, eux-mêmes, ont puisé dans les recherches que leurs prédécesseurs et leurs contemporains ont fixées, à leur tour, dans les livres, et ainsi de suite. Ecrits que l'on retrouve souvent sur Internet

Peut-être est-ce un appel à la modestie qui doit servir d'écrin à notre culture. Bref, l'humilité sied à la connaissance. J'y souscris totalement.

SENATUS POPULUSQUE ROMANUS

Pourquoi ce préambule ? Parce que je viens d'achever le très beau livre sur l'histoire de l'ancienne Rome de Mary Beard, qui m'a fait faire des découvertes formidables et me permet de considérer cette histoire romaine avec un regard neuf.

Je suis comme tout le monde, l'empire romain ne m'est pas totalement inconnu. Mais avec ce livre, je me suis rendu compte que je n'en savais pas grand chose, en définitive.

Babelio incite les Babéliens à citer des passages qu'ils ont particulièrement remarqués de leur lecture. Il leur suggère aussi des critiques ; ce commentaire sur un livre que l'on a apprécié (ou pas du tout apprécié) constitue un exercice remarquable et plutôt difficile, si l'on ne souhaite pas se contenter du : « Une chronique magistrale » de The Economist, à propos du livre de Mary Beard, sans que l'on ait d'ailleurs la certitude que l'exclamation repose sur une lecture réelle de son auteur.

Cet exercice est intéressant en ce qu'il implique une réflexion sur ce que l'on pourrait dire d'un très bon livre, et qui présenterait quelque originalité tant dans la forme que sur le fond. En effet, après la lecture des quelque 544 pages de ce livre, je puis, à mon tour, m'exclamer : SPQR, UN LIVRE FORMIDABLE !

Cependant, cela me paraît un peu court pour inciter les Babéliens à le lire, à leur tour. Alors, comment faire ? Je me suis rendu sur Intenet, (Doctus cum Internet), pour faire un peu connaissance avec l'auteure.

MARY BEARD

Où l'on apprend que Winifred Mary Beard, est née le 1ᵉʳ janvier 1955, nous voilà du même millésime de naissance, est une universitaire et une érudite britannique, spécialiste incontestée de la Rome antique ; qu'elle a acquis des idées féministes dans sa jeunesse, qu'elle a conservées (les grandes intellectuelles finissent presque toujours par être féministes), qu'elle aime et pratique l'archéologie (manifeste dans son livre), qu'elle a reçu un prix important pour l'ensemble de son oeuvre, qu'elle est très connue Outre-Manche, qu'elle anime des émissions pour la BBC, et possède par-dessus-tout, le franc parler d'une grande intellectuelle qui ne s'en laisse pas conter (se remarque aussi dans son écriture).

Enfin, elle affiche toujours un sourire sympathique sur les photographies de sa "biographie" Internet. Je voulais donc connaître un peu mieux cette historienne, et Internet m'a facilité le travail. Pour la critique de son SPQR, c'est une autre paire de manche, comment parler de tant de richesse et d'érudition avec pertinence, sans paraître plat ?

ET BIEN, C'EST SIMPLE, JE N'EN PARLERAI PAS !

Je ne parlerai pas de ces mythes des origines de la Rome archaïque, chantés sur le tard, par un Virgile courtisan et qui déboucha sur la royauté, dont un Tarquin de sang royal, précipita la chute, par le viol de Lucrèce,

Je ne parlerai pas de la République corrompue par un Sénat rendu impuissant face aux généraux romains ;

Je ne parlerai pas de celui qui, en franchissant le Rubicon (petite rivière ridicule devenue symbole de toutes les audaces), ne prit point de titre qui fut usurpé, mais fit de son nom un titre supérieur à celui des rois (je vous rassure, ce n'est pas de moi) ;

Je ne parlerai pas de celui que l'on considère comme le premier empereur, bien que personne ne le nommât ainsi, Pompée, qui se faisait appeler Magnus, comme Alexandre, sans en avoir l'envergure, et qui précédera César chez Pluton, selon la méthode désormais éprouvée à Rome, de l'assassinat politique ;

Je ne dirai rien du premier qui régna plus de 40 ans, le dénommé Octavien dit Auguste, dont notre calendrier garde la mémoire dans la plus grande indifférence des aoûtiens fréquentant les plages du nord ou du sud de la France ;

Je dirai encore moins des 14 empereurs qui offrirent deux siècles de stabilité à l'empire, de Cicéron, de Pline, de Suétone, de tous ces noms célèbres de cette histoire, dont nous avons au moins une fois entendu parler.

En revanche, je suis sûr que vous ne connaissez pas Caius Pupius Amicus, que la fière épitaphe décrit comme purpurianus (teinturier), ni Vergilius Eurysaces, entrepreneur boulanger et fier de l'être comme l'indique son tombeau de 10 mètres de haut ! Encore moins l'obscure Ménophilos, musicien venu d'une lointaine contrée d'Asie pour mourir à Rome en laissant cette épitaphe émouvante : « Je n'ai jamais prononcé de paroles offensantes, et j'étais un ami des Muses ». Il y a encore cette Vibia Perpetua de Carthage, qui préféra servir de pâture aux animaux sauvages dans l'arène plutôt que de renier sa foi chrétienne.

Que dire de cette héroïne celte, bien connue des Britanniques, sorte de Jeanne d'Arc, avant l'heure, ou d'Astérix en robe, Mary Beard en fait une Vercintgétorix – c'est comme vous voulez-, la Reine Boadicée ? Elle mena la vie dure aux garnisons romaines de la Bretagne, même si à la fin Rome était toujours vainqueur. Deux statues de cette Celte Rousse figurent en bonne place à Londres et aux Pays de Galles.

Bien mieux, je croyais les graffitis, artefacts modernes ; voilà que Mary Beard, nous présente la « culture des bars » (ou tavernes), très nombreux dans Rome, nourrie, notamment, de la passion du jeu de dés contre sesterces sonnants et trébuchants, de graffitis qui valent bien ceux que nous trouvons dans les toilettes publiques de nos jours, comme ce « J'ai baisé la patronne » figurant sur un panneau, ou bien encore des dessins de sexe explicite.

On trouve aussi des graffitis dans la ville d'Ostie, par exemple, qui détournent avec humour et impertinence les premiers mots d'une oeuvre littéraire archiconnue à l'époque et de nos jours : « Je chante les combats et ce héros qui le premier, des rivages de Troie, s'en vint, banni du sort, en Italie, etc. », qui devient, sous un dessin de façade d'une blanchisserie : « Je chante les fouleurs et leur hibou et non les combats et l'homme ».

Beaucoup d'autres aspects de la vie quotidienne dans l'empire sont ainsi analysés : les épidémies dévastatrices, la mortalité des parturientes, les expositions d'enfants, les révoltes éphémères, la violence populaire à l'égard des politiques corrompus, l'esclavage, la "mondialisation" qui s'opère avec la romanité partout à l'oeuvre dans l'empire, jusqu'au droit de cité généralisé en 212 par l'édit de Caracalla, etc., etc.

Et si la grande Histoire n'a pas retenu les anonymes, si aucun professeur ne vous en a jamais parlé, si la vie quotidienne dans l'empire est passée sous silence au profit des portraits des grands personnages, Mary Beard rétablit les choses et nous rappelle, grâce à ses recherches et à sa vision critique de l'Histoire, que des millions d'êtres ordinaires, pauvres ou riches ont, certes, laissé peu de traces dans l'Histoire (surtout les pauvres), mais que les quelques unes que l'archéologie exhume, affûtent le regard de l'historien, améliore sa compréhension et la nôtre de ce monde qui a enfanté l'Occident.

Une chronique magistrale ! Pour reprendre The Economist, (cependant, j'aurai tenté de vous expliquer pourquoi) … Pat








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