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Critique de Enroute


Beauvoir le précise dans son introduction, elle ne prétend pas cerner l'"éternel féminin" mais la femme "dans l'état actuel de l'éducation et des moeurs". Cela permet de relativiser les descriptions très sombres d'une condition peu enviable en les fixant dans un temps donné et une époque donnée. C'est qu'on n'a plus tout à fait la situation en tête, quand par exemple dans la conclusion il est fait mention des avantages que présenterait une éducation mixte - on se dit "ah mais oui, même ça..."...

Reste qu'on ne sait jamais où la sociologie s'arrête et où commence la considération personnelle de l'auteure qui avait promis dans le tome I de proposer une explication de la sexualité féminine qui ne soit pas que fondée sur la psychanalyse et qui revient tout de même sans arrêt sur cette histoire de frustration du manque de pénis, dont elle avait argumenté justement que la perception était toute masculine et propre à Freud sans incarnation dans le corps féminin. Et puis elle décrit beaucoup si bien qu'on se prend à croire qu'elle dissèque un organe ou qu'elle fait du nominalisme, la tentative de caractériser une ontologie substantielle, bref tout ce qu'elle fuit en vérité... Mais sans doute faut-il vraiment considérer que le propos est daté et vise à faire comprendre, à expliquer, à se mettre dans la peau de (car le lectorat impliqué est sans hésitation masculin), dans un pays donné (la femme africaine est totalement absente de l'étude qui aurait pu donner des analyses différentes) et tend à vouloir provoquer un choc, une action, peut-être une révolution... Donc difficile d'appréhender si Beauvoir parle comme un homme sur les femmes objets pour faire passer le discours (pourrait-elle être crédible si elle se plaçait du côté féminin étant donné ce qu'elle décrit de la condition féminine ? pourrait-elle le faire sans aller à l'affrontement, qu'elle veut justement éviter, le dernier mot du livre étant "fraternité" ?), faut-il prendre son discours pour de la misogynie ou au contraire l'intelligence de ses talent d'auteure - sans doute faut-il considérer que la difficulté du propos et l'ambition du discours justifient qu'elle se place comme ni homme ni femme (aucun témoignage personnel par exemple, ce n'est sûrement pas anodin), ni vivante, ni morte, mais à mi-chemin entre la littérature de nature à provoquer l'incarnation nécessaire à la compréhension du sujet et l'étude sociologique, froide et documentée...

C'est sans doute au fait que l'ensemble paraisse maintenant daté qu'on peut évaluer la qualité du texte : qui sait si tout ne nous semble pas évident aujourd'hui parce que depuis soixante-dix ans les idées de ce livre ne se seraient pas massivement diffusées ?... Il faudrait étudier la réception de l'époque et les effets du livre - qui maintenant est devenu un ouvrage culturel, une borne dans un mouvement d'ensemble... ni vérité éternelle, ni réalité fictionnelle, une manière d'exister...
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