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Le Deuxième Sexe tome 2 sur 2
EAN : 9782070323524
663 pages
Gallimard (21/04/1986)
4.09/5   491 notes
Résumé :
"Comment la femme fait-elle l'apprentissage de sa condition, comment l'éprouve-t-elle, dans quel univers se trouve-t-elle enfermée, quelles évasions lui sont permises, voilà ce que je chercherai à décrire. Alors seulement nous pourrons comprendre quels problèmes se posent aux femmes qui, héritant d'un lourd passé, s'efforcent de forger un avenir nouveau. Quand j'emploie les mots "femme" ou "féminin" je ne me réfère évidemment à aucun archétype, à aucune immuable ess... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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Après avoir bien posé et démarqué les différences biologiques entre les hommes et les femmes, ainsi que leurs conséquences historiques et dans l'imaginaire collectif, De Beauvoir se penche ici sur la formation des femmes, sur ce que l'on leur inculque, de même que sur leurs situations dans le monde; elle termine l'ouvrage en donnant quelques pistes ouvrant vers une libération.

Ce livre, autant "coup de poing" que le premier, permet de bien voir la différence d'éducation entre les sexes. De Beauvoir y démontre comment l'éducation de la petite fille, la porte à - déjà - se pencher vers des activités plus calmes et restreintes - à l'attente - tandis que l'éducation dont bénéficie le petit garçon - plus laxiste et ouverte - le dispose à plus d'expérimentations et de découvertes - à l'action. Cette situation s'amplifie à l'adolescence où la jeune fille apprend la beauté, où elle comprend qu'elle doit plaire, mais que pour cela, elle se doit d'être passive, de s'effacer devant les garçons, que: "Toute affirmation d'elle-même diminue sa féminité et ses chances de séduction." (p.98) La jeune fille doit ainsi renoncer à son moi, à ses chances d'épanouissement personnel ce qui explique pourquoi elle se met au service des intérêts et actions de l'homme si facilement: elle cherche à compenser son manque de développement personnel en s'affiliant à celui de l'homme.

La situation de la femme est aussi, trop souvent, problématique; en fait : « La lourde malédiction qui pèse sur elle, c'est que le sens même de son existence n'est pas entre ses mains. » (p.277) Ainsi, dans le mariage comme dans la prostitution ou le célibat, la femme ne peut, bien souvent, se réaliser et s'épanouir à la mesure de ses potentialités. Il en ressort maints rivalités, jalousies, souffrances et désoeuvrement (qui se fait parfois sentir plus tardivement dans sa vie, c'est-à-dire lorsque la femme a accompli ce qu'on attendait d'elle : la maternité et le rôle de femme au foyer le plus souvent, mais en tous les cas : une position plutôt soumise et passive).

Simone de Beauvoir a écrit ses deux livres vers la fin des années 40. La situation a évidemment évolué positivement depuis. Il y a des possibilités de libération et celles-ci ont été saisies par plusieurs. de fait, les femmes réussissent de plus en plus à conquérir leur indépendance; elles travaillent, elles étudient, elles expérimentent différentes sphères d'activités et elles peuvent faire à peu près tout ce que les hommes de leur âge peuvent. Et pourtant, un long chemin reste à parcourir si nous voulons un monde vraiment égalitaire. La femme est encore très prise dans des questions d'images et de séduction. Elle est encore, très souvent, gardienne des valeurs et traditions familiales et les contraintes matérielles de la vie familiale lui incombent en plus grande part dans beaucoup de ménages. En fait, plus qu'il n'en appert dans cette critique, cette situation est d'une grande complexité et un cercle vicieux s'est instauré où chacun des deux camps y perd et y gagne; « (…) les deux sexes sont chacun victimes à la fois de l'autre et de soi (…) chaque camp est complice de son ennemi (…) » (p.637). Cependant, De Beauvoir termine cet ouvrage noblement en nous enjoignant à évoluer collectivement afin de faire « triompher le règne de la liberté » (p.652), règne où les deux genres ont à gagner en liberté mais aussi en authenticité et en épanouissement.


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Je suis arrivée au bout de ce mastodonte de la littérature féministe - volume 1 et 2 - et je n'en suis pas peu fière, j'ai dû sacrément m'accrocher. Pour être honnête, si le premier volume sur la condition physiologique des femmes m'avait semblé barbant, je l'avais également trouvé nécessaire. Il fallait que ces choses soient dites : la capacité qu'ont la plupart des femmes de donner naissance à des enfants n'expliquent et ne justifient en rien les conditions sociales auxquelles elles sont soumises.
Ce deuxième volume - toujours assez barbant dans son ensemble, désolée... - me semble toutefois moins nécessaire et surtout très inégal selon les chapitres. Une grande partie des propos de Simone de Beauvoir s'appuient sur la psychanalyse freudienne - qui a fait et fait toujours beaucoup de mal aux femmes par ailleurs - et les nombreux récits de vie de femmes cités dans ce texte proviennent d'un livre intitulé La femme frigide de Wilhelm Stekel. Je ne sais pas ce que vaut ce livre mais la manière dont Simone de Beauvoir le cite et les extraits qu'elle en donne sans explication critique ne me donne absolument aucune envie de le lire. Notamment, le chapitre consacré à l'initiation sexuelle des jeunes filles est une succession de récits de viol, sans que le mot "viol" ne soit jamais écrit nul part. Simone de Beauvoir les rapportent comme des situations regrettables qui expliquerait le manque d'enthousiasme des femmes quant au sexe. Nul part, elle ne rapporte de récit d'une sexualité libérée et bien vécue. Faut-il en conclure que toutes les femmes dans les années 60 se faisaient violer lors de leur nuit de noce ?
D'autres chapitres en revanche, sur la maternité, l'avortement ou sur la vie de couple, s'appuient moins sur de précédents écrits et semblent provenir davantage de l'expérience et de la réflexion de l'autrice. En général, ils m'ont semblé plus pertinents et toujours d'actualité.
De manière générale, j'ai eu la sensation qu'en voulant expliquer ou justifier certains clichés sur les femmes (frigide, stupide, dépensière, parasite... ), Simone de Beauvoir confirmait la véracité de ces clichés. L'ouvrage a peut-être simplement mal vieilli, ce qui est une excellente nouvelle qui témoigne de l'évolution de la condition des femmes en France au cours des dernières décennies. Certains questionnements sont toujours actuels (vie de couple, maternité), pour beaucoup d'autres les problématiques ont évolué (travail, salaire, avortement, sexualité, contraception...) et se posent différemment de nos jours. Cela dit ces questions se posent toujours...
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A ma grande surprise, c'est le tome 2 qui commence par le fameux "On ne naît pas femme, on le devient".

Ce tome aborde "l'expérience vécue", c'est-à-dire toutes les incarnations, les avatars de la féminité, et le procès qui commence par l'éducation, puisqu'il s'agit de l'enfance, dans un premier temps.

J'ai d'abord eu l'impression, justifiée, d'avoir déjà lu tout cela : entre les extraits connus, la compilation de tout ce qui se dit depuis Freud jusqu'aux féministes contemporaines en passant par Lacan, l'intériorisation des stéréotypes au cours de l'éducation n'a rien de bien original pour une lectrice d'aujourd'hui. le sous-titre est immédiatement justifié par les témoignages abondants qui émaillent l'argumentation De Beauvoir.

J'imaginais un essai de portée universelle (universaliste ?) mais en réalité, il ne vaut que pour les sociétés patriarcales même si, d'une manière ou d'une autre, les cultures mondiales sont presque toutes patriarcales (l'hyperpouvoir supposé des femmes dans la sphère familiale n'étant pas un matriarcat mais un aménagement du système patriarcal même). Les pudibonderies autour de la sexualité, les simagrées de la souillure - ces fardeaux physiques, moraux, mentaux supplémentaires - autour des menstruations semblent en revanche terriblement judéo-chrétiennes. de plus, malgré la rigueur d'aller investiguer dans toutes les classes, et donc dénoncer à juste titre la double journée de travail des femmes, l'exploration du chapitre de la femme en couple, mariée, décrit beaucoup plus souvent le désarroi d'une femme bourgeoise. C'est notamment dans l'exercice risqué de la synthèse sur le "caractère de la femme" que cela se voit.

A lire dans un XXIème siècle où l'on distingue sexe et genre, et où chacun revendique une expérience privée avec l'un et l'autre, poussant à des alliances de circonstance mais pas à une appartenance aussi large que le sexe, les deux premiers chapitres, leur présent de vérité général et le générique au singulier (la petite fille, la jeune fille) peuvent paraître trop généralisateurs. Mais à pousser dans ses retranchements ce qu'elle affirme, j'avoue qu'en cherchant des équivalents à cela, on les trouve et que les objections que je voudrais faire seraient trop pointues.

Si, je suppose, les deux premiers chapitres ont fait un tel florès que j'ai eu du mal à trouver originaux des constats qui l'étaient sans doute en 1949, j'ai été stupéfaite de lire une hypothèse incroyablement plausible à l'usure de l'éros dans le couple invétéré et que je n'ai lue nulle part ailleurs. Je voudrais pouvoir dire que sa lucidité sur le chapitre de l'amour (partie intitulée "Justifications"... comment certaines femmes tentent de se créer une transcendance à travers la prison immanente de leur vie) est caricaturale, hélas, je ne le peux pas, c'est horriblement bien vu. L'étude du vieillissement ("maturité et vieillissement") est original et intéressant. Je m'incline.

Mais Simone de Beauvoir ne remet pas en question certaines assertions de son temps, qui ont été déconstruites depuis, avec par exemple la dénonciation du fait que les femmes sont plus mal soignées que les hommes parce qu'elles sont peu écoutées, se plaignent moins (alors même qu'elles consomment plus de médecine), et que les normes médicales sont masculines. Voilà ce que Beauvoir reprend à son compte : "Parce que son corps est suspect [à la jeune fille], qu'elle l'épie avec l'inquiétude, il lui paraît malade : il est malade. On a vu qu'en effet ce corps est fragile et il y a des désordres proprement organiques qui s'y produisent ; mais les gynécologues s'accordent à dire que les neuf dixièmes de leurs clientes sont des malades imaginaires (...)". Heureusement, on en est revenu, mais le temps a été long et que de vies perdues !...

Du chemin a été fait, on le mesure souvent, depuis 1949, et même 1976, mais je me rends compte aussi que toutes les femmes n'ont pas suivi la voie de l'émancipation du même pas : certaines l'ont construite, d'autres suivie, mais un nombre non négligeable la négligent, comme un élément du paysage qu'on voit mais qu'on renonce à fréquenter ; elles rencontrent des hommes (et des femmes) qui les en confortent ou non, et les vieux schémas patriarcaux se perpétuent, s'ancrent dans un habitus névrotique attendu, ou la cacophonie continue. Que des hommes se libèrent également des assignations patriarcales, et le choeur de ricanements s'élève, son écho dure, comme celui contre le "mari déconstruit" de Sandrine Rousseau. Subir dans une sortie sportive les saillies antiféministes d'une célibataire qui veut signaler à celui qui l'intéresse un prétendu avantage qu'il aurait avec elle... Navrante, cette lenteur. A-t-on assez lu cet essai ?

Très agréable à lire, malgré les polices de caractères minuscules des témoignages, on entre facilement dans son écriture, y compris dans les passages plus riches en figures de style, dont Beauvoir n'abuse pas.
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« le deuxième sexe » constitue une étude fouillée qui pose, entre autres questions, la question de l'existence ou non d'une identité féminine innée, pour mieux la récuser : « on ne naît pas femme on le devient »…

S'appuyant sur l'infériorisation de la femme à travers les âges dans tous les domaines de la société, hors la maison, Simone de Beauvoir s'attache à démontrer que tout, les parents, la société, la religion, formate les femmes dans leur infériorité par rapport au « mâle » ; et que mariage et enfants sont un piège qui les cloue à la maison et les empêche de se réaliser en tant qu'individu à l'extérieur. D'où le militantisme de Simone de Beauvoir pour une égalité homme/femme qui selon elle rendrait les deux plus libres…

Le deuxième sexe constitue un des piliers du néo-féminisme post soixante-huitard qui connaîtra son apogée dans le milieu des années soixante-dix. le slogan, car c'en est un, «On ne naît pas femme on le devient » faisant écho à l'autre, celui du mouvement de mai 68, «Il est interdit d'interdire».

Quoiqu'il en soit, les faits sont là…présentés, détaillés, analysés. Il n'en reste pas moins que l'interprétation qu'en fait Simone de Beauvoir est parfois un peu « tirée par les cheveux ». Un grand texte, à lire, tout en gardant à l'esprit qu'il s'agit d'un texte militant : le credo d'une femme engagée pour la reconnaissance du droit des femmes.
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Deuxième et dernier volume du ô combien, à mon sens, important et nécessaire essai de S. de Beauvoir sur la condition féminine.

L'ouvrage se compose en une première partie qui nous retrace dans un premier temps le parcours et l'évolution depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte de la femme et qui déjà diffère entre le jeune garçon et la jeune fille.
En plus d'apprendre par cet essai, SdB met en valeur certains aspects sociétaux, physiques et même psychiques permettant de décrire les obstacles que la femme doit affronter dès son plus jeune âge et en se basant également sur des témoignages recueillis ainsi que de nombreux extraits d'essais et romans. Un ensemble extrêmement bien documenté, qui fait naître le besoin de le lire et le relire afin de pouvoir en assimiler toutes les informations et précisions qui y sont relatées à l'instar du premier volet de l'essai.


Le début de l'enfance chez le garçon et la fille se ressemble mais très rapidement, la prise de conscience de la différenciation physique tourne à l'avantage du garçon.
En grandissant, la jeune fille prend également conscience très tôt de l'infériorité de son sexe en découvrant et étudiant ce qui régit le monde notamment à travers les chefs politiques, l'Histoire, la mythologie, et même les romans et les contes...
Le passage à l'âge adulte chez le garçon est synonyme d'ouverture sur le monde, et entraine le développement du sentiment de conquête dans son esprit. A l'inverse, la jeune fille est aux prises de ses transformations physiques et psychiques qui sont alors présentées comme tabous et honteuses.
De même, l'initiation sexuelle constitue un traumatisme pour la femme avec notamment souvent le traumatisme de la « première fois » et la découverte et la prise de conscience de son propre corps transformée face à l'autre.


La seconde partie de l'essai décrit différents contextes et étapes dans le développement de la femme et qui dans la majorité ont fort heureusement évolués positivement depuis la parution de l'ouvrage.

Pour la femme mariée, tout d'abord, le mariage ne s'accompagne par forcément d'amour. C'est alors un enfermement social pour la femme, justifié notamment par la pression sociale de la famille.
Le constat qui est fait est que tant que le mariage se représentera comme une micro-société fermée dans laquelle rien n'est donné et permis à la femme du fait que tout est dû à l'homme de par son sexe et sa fonction dans la société, alors la femme ne pourra s'émanciper pleinement et la relation homme-femme n'en sera que perdante pour les deux sexes.
L'homme et la femme doivent se construire mutuellement dans une relation solidaire afin que chacun puisse en sortir gagnant.

Dans la situation de la femme mère, vient se poser la question de l'avortement ayant été encouragé alors souvent par l'homme.
Après les règles menstruelles, et tout les inconvénients qu'elles provoquent, la femme doit affronter une nouvelle épreuve humiliante liée à sa condition. D'autant plus que cette épreuve est vécue de manière inégale entre les sociétés bourgeoises (bien mieux accompagnées dans cette épreuve) et les sociétés paysannes plus pauvres (laissées à elles-mêmes).
Parallèlement, la grossesse permet à la femme d'acquérir un respect et de jouir pleinement d'être soi-même ceci à travers la présence d'un autre en son sein.
Plus tard, la relation enfant/mère est alors comparable à la relation femme/mari, la mère occupant alors la position dominante face à l'enfant.

Au sein de la société, la femme a vu l'importance de l'attrait et du paraître être mis en avant pour exister. Cette importance est cependant différente selon la position tenue et l'âge : ado, mère, célibataire…
La pression du temps a également été pendant une période omniprésente chez la femme jusqu'aux tâches où la société l'assigne.

La femme a longtemps régné uniquement sur son logis si bien que les réceptions qui y ont été organisées ont souvent constitué un moyen pour elle de s'élever face aux autres.

Chaque période de la vie féminine est marquée par un changement brutal et radical : la puberté en passant par l'initiation sexuelle jusqu'à la ménopause qui se compare alors à la mise en retraite de la femme en fin de servitude par l'homme.
Les critiques sur le caractère des femmes vérifiées ou totalement inventées par la gente masculine ne dépendent aucunement de critères physiologiques mais uniquement de la situation dans laquelle elle est restée enfermée par l'homme.

Fort heureusement, certaines situations et comportements décrits par SdB ont évolués positivement. Néanmoins, les descriptions et analyses qui y sont faites sont d'autant plus parlantes car mêmes si certains points ont évolué, les conclusions découlant de ces analyses n'en sont que plus vraies et doivent être rappelées encore aujourd'hui.
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Citations et extraits (85) Voir plus Ajouter une citation
Elle sera une chaste et fidèle épouse ; et elle cèdera en cachette à ses désirs ; elle sera une mère admirable : mais elle pratiquera avec soin le "birth control" et se fera avorter au besoin. L'homme officiellement la désavoue, c'est la règle du jeu ; mais il sera clandestinement reconnaissant à celle-ci de sa "petite vertu", à celle-là de sa stérilité. La femme a le rôle de ces agents secrets qu'on laisse fusiller s'ils se font prendre, et qu'on comble de récompenses s'ils réussissent ; à elle d'endosser toute l'immoralité des mâles : ce n'est pas seulement la prostituée, ce sont toutes les femmes qui servent d'égout au palais lumineux et sain dans lequel habitent les honnêtes gens. Quand ensuite on leur parle de dignité, d'honneur, de loyauté, de toutes les hautes vertus viriles, il ne faut pas s'étonner qu'elles refusent de "marcher". Elles ricanent en particulier quand les mâles vertueux viennent leur reprocher d'être intéressées, comédiennes, menteuses : elles savent bien qu'on ne leur ouvre nulle autre issue. L'homme aussi "s'intéresse" à l'argent, au succès : mais il a les moyens de les conquérir par son travail ; on a assigné à la femme un rôle de parasite : tout parasite est nécessairement un exploiteur ; elle a besoin du mâle pour acquérir une dignité humaine, pour manger, pour jouir, pour procréer (...).
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Ils escomptent de manière avouée que la femme consentira à se rendre coupable d'un "délit" : son "immoralité" est nécessaire à l'harmonie de la société morale respectée par les hommes. L'exemple le plus flagrant de cette duplicité est l'attitude du mâle devant la prostitution (...). Une anecdote illustre cet état d'esprit : à la fin du siècle dernier, la police découvrit dans une maison close deux fillettes de douze à treize ans ; il y eut un procès où elles déposèrent ; elles parlèrent de leurs clients qui étaient des messieurs importants ; l'une d'elles ouvrit la bouche pour dire un nom. Le procureur l'arrêta précipitamment : Ne salissez pas le nom d'un honnête homme ! Un monsieur décoré de la Légion d'honneur demeure un honnête homme au moment où il déflore une petite fille ; il a ses faiblesses, mais qui n'en a pas ? Tandis que la petite fille qui n'accède pas à la région éthique de l'universel - qui n'est ni un magistrat, ni un général, ni un grand Français, rien qu'une petite fille - joue sa valeur morale dans la région contingente de la sexualité : c'est une perverse, une dévoyée, une vicieuse bonne pour la maison de correction. L'homme peut en quantité de cas sans salir sa haute figure perpétrer en complicité avec la femme des actes qui pour elle sont flétrissants.
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Quantité d'exemples nous ont déjà prouvé que ce rêve d'anéantissement est en vérité une avide volonté d'être. Dans toutes les religions, l'adoration de Dieu se confond pour le dévot avec le souci de son propre salut ; la femme en se livrant tout entière à l'idole espère qu'il va lui donner tout à la fois la possession d'elle-même et celle de l'univers qui se résume en lui.
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Naguère, la jeune fille abritée par l'autorité des parents usait de sa liberté dans la révolte et l'espoir ; (...) c'était vers le mariage même qu'elle se transcendait du sein de la chaleur familiale ; maintenant elle est mariée, il n'y a plus devant elle d'avenir autre. (...) Jeune fille, elle avait les mains vides : en espoir, en rêve, elle possédait tout. Maintenant elle a acquis une parcelle du monde et elle pense avec angoisse: ce n'est que cela, à jamais.
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Les hommes que nous appelons grands sont ceux qui ‑ d'une façon ou de l'autre ‑ ont chargé leurs épaules du poids du monde : ils s'en sont plus ou moins bien tirés, ils ont réussi à le recréer ou ils ont sombré; mais d'abord ils ont assumé cet énorme fardeau. C'est là ce qu'aucune femme n'a jamais fait, ce qu'aucune n'a jamais pu faire. Pour regarder l'univers comme sien, pour s'estimer coupable de ses fautes et se glorifier de ses progrès, il faut appartenir à la caste des privilégiés ; à ceux‑là seuls qui en détiennent les commandes il appartient de le justifier en le modifiant, en le pensant, en le dévoilant; seuls ils peuvent se reconnaître en lui et tenter d'y imprimer leur marque. C'est dans l'homme, non dans la femme, qu'a pu jusqu’ici s’incarner l'Homme. Or, les individus qui nous paraissent exemplaires, ceux qu'on décore du nom de génies, ce sont ceux qui ont prétendu jouer dans leur existence singulière le sort de l'humanité tout entière. Aucune femme ne s'y est crue autorisée. Comment Van Gogh aurait‑il pu naître femme ? Une femme n'aurait pas été envoyée en mission dans le Borinage, elle n'aurait pas senti la misère des hommes comme son propre crime, elle n'aurait pas cherché une rédemption ; elle n'aurait donc jamais peint les tournesols de Van Gogh. Sans compter que le genre de vie du peintre - la solitude d'Arles, la fréquentation des cafés, des bordels, tout ce qui alimentait l'art de Van Gogh en alimentant sa sensibilité ‑ lui eût été interdit. Une femme n'aurait jamais pu devenir Kafka : dans ses doutes et ses inquiétudes, elle eût pas reconnu l'angoisse de l'Homme chassé du paradis. il n'y a guère que sainte Thérèse qui ait vécu pour son compte, dans un total délaissement, la condition humaine : on a vu pourquoi. Se situant par‑delà les hiérarchies terrestres, elle ne sentait pas plus que saint Jean de la Croix un plafond rassurant au‑dessus de sa tête. C'était pour tous deux la même nuit, les mêmes éclats de lumière, en soi le même néant, en Dieu la même plénitude. Quand enfin il sera ainsi possible à tout être humain de placer son orgueil par‑delà la différenciation sexuelle, dans la difficile gloire de sa libre existence, alors seulement la femme pourra confondre son histoire, ses problèmes, ses doutes, ses espoirs, avec ceux de l'humanité; alors seulement elle pourra chercher dans sa vie et ses œuvres à dévoiler la réalité tout entière et non seulement sa personne. Tant qu'elle a encore à lutter pour devenir un être humain, elle ne saurait être une créatrice.

2035 - [21e édition p. 557]
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Vous connaissez Simone de Beauvoir, mais peut-être pas sa soeur Hélène. Pourtant, cette artiste peintre s'est elle aussi engagée pour la cause des femmes.
#feminisme #simonedebeauvoir #cultureprime
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