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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Invisible Republic, tome 2 (épisodes 6 à 10) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Dans la mesure où il s'agit d'une histoire d'un seul tenant, il faut avoir commencé par le premier tome. Celui-ci contient les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2017, coécrits par Gabriel Hardman & Corinna Bechko, dessinés et encrés par Hardman, avec une mise en couleurs réalisée par Jordan Boyd, la même équipe artistique depuis le début.

En 2844, un an après les événements du tome précédent, le journaliste Croger Babb est en tournée de présentation de son livre intitulé Invisible Republic, constitué essentiellement des journaux intimes de l'activiste politique Maria Reveron. Accompagné par son agent, il atterrit sur une petite planète où il est accueilli par Anette Jere, la maire de Terra Station Three. Devant un amphithéâtre plein, et malgré une électricité fluctuante, il explique la situation géopolitique de la lune habitée Avalon, orbitant autour de la planète Aslan, et de la deuxième lune plus petite Ken. Il évoque la situation du pouvoir et comment cette configuration a favorisé l'apparition d'un personnage politique comme Maia Reveron. le public commence à lui poser des questions difficiles, telles que l'avis de Maia Reveron sur la publication de ses journaux intimes, ou le fait qu'elle ait fait assassiner une journaliste. Il répond sur la nécessité de communiquer d'une manière transparente afin d'éviter que des rumeurs erronées se répandent, souvent initiées par le gouvernement en place afin de discréditer l'action des opposants au régime.

Croger Babb poursuit sa présentation en lisant un passage du journal de Maia Reveron, relatif à sa situation 42 ans plutôt. Elle se trouvait alors sur la lune Aslan, vivant en couple avec Christoph dans une grande capsule spatiale reconvertie en habitation dans la jungle, éloignée de tout centre urbain. Les vivres commençant à manquer, ils décident de se lancer dans un périple pour rejoindre la ville la plus proche. En progressant sous la pluie, ils passent à proximité d'un immense Eles, l'un des animaux herbivores de la planète. En arrivant dans la ville, ils doivent s'écarter pour laisser passer un groupe de Kelphies, des animaux sauvages proches des chiens. À la fin de son intervention, Croger Babb estime qu'il est temps pour lui de retourner sur Avalon, mais un fonctionnaire l'administration de Terra Station Three lui indique que son droit de vol a été révoqué, alors qu'il se présente à la douane. 42 ans plutôt, Maia Reveron et Christoph sauvent un jeune kelphie d'un piège destiné à un humain en pleine jungle et essayent de la faire opérer par un médecin.

Le lecteur avait été emporté par les 2 premiers tomes, avec des auteurs sachant utiliser à bon escient les conventions des récits de science-fiction, et les mélanger à une aventure politique, avec un leader charismatique (Arthur McBride) ayant accédé au pouvoir après avoir renversé un despote représentant l'autorité du gouvernement terrestre, dans des conditions peu claires, remettant en cause ses principes et ses amitiés. Les dessins de Gabriel Hardman montraient un environnement bien chargé, assez consistant. le lecteur replonge donc avec plaisir dans cette histoire mêlant SF et politique, et retrouve en fin de volume les pages de texte rédigées par Corinna Bechko, une zoologue de formation. Dans le premier texte, elle évoque la richesse de la faune d'Aslan, en particulier les Eles et les Kelphies, les 2 animaux évoqués dans l'histoire. Dans le deuxième texte, elle développe la notion d'animaux domestiqués, dans le troisième les critères de développement de vie sur une planète (en évoquant ceux de la Terre), dans le quatrième l'inéluctabilité de la modification des écosystèmes de par la présence des êtres humains. le dernier texte vient compléter un des points de l'histoire, à savoir l'exploration de l'espace par un vaisseau peuplé de femmes, avec les installations nécessaires pour des fécondations in vitro.

En fonction de ses goûts, le lecteur peut choisir de lire ou non les textes de fin, car ils ne sont pas indispensables à la compréhension du récit. S'il le fait, les premiers viennent souligner un thème discret mais bien présent dans la première moitié de ce tome : l'écologie. Maia et Christopher ont décidé de vivre à l'écart de la population, dans une jungle épaisse, soumise à la pluie abondante qui tombe sur cette planète. Puis Maia développe un attachement particulier au jeune Kelphie dont elle a sauvé la vie. Bechko & Hardman ne sont pas les premiers à développer une fibre écologique dans un récit de science-fiction. Ils savent s'en servir avec une sensibilité juste, ni larmoyante, ni revendicatrice ou prosélyte. le lecteur observe la luxuriance de la végétation, l'humidité omniprésente, le comportement du kelphie qui s'est attaché à un humain, au travers des dessins d'Hardman. Cela lui donne une bonne compréhension de cet écosystème et de l'impact qu'une telle vie peut avoir sur la psyché de Maia Reveron et sur son développement personnel. Cette phase de sa vie fait partie de son histoire et a contribué à forger sa personnalité.

En continuant de lire les textes en fin de volume, il découvre également celui intitulé Les femmes et les enfants d'abord. À nouveau il s'agit d'une petite aide pour se souvenir que ce récit de science-fiction a été pensé et construit de manière cohérente. L'article en lui-même évoque la composition probable d'un équipage ayant pour mission de partir pour un voyage de plusieurs décennies dans l'espace. Au cours du récit, les dessins sont assez précis et concrets pour donner à voir une technologie futuriste au lecteur, ainsi que des environnements d'anticipation qui restent fonctionnels. Gabriel Hardman ne propose pas une technologie futuriste clinquante, mais une technologie fonctionnelle et utilisée. Pour chaque planète, les installations et habitations sont adaptées au climat et reflètent le faible budget alloué à leur construction. le lecteur peut voir la différence de conception entre les vaisseaux spatiaux, et les navettes pour se déplacer en surface. Il observe également l'équipement des militaires, des forces de l'ordre et les différentes armes à feu. Les vêtements sont assez proches de ceux qui existent aujourd'hui, à nouveau avec une approche fonctionnelle bon marché, et une variété limitée dans les régions les plus défavorisées.

Gabriel Hardman et Jordan Boyd dépeignent un monde assez noir et rugueux. Les couleurs choisies sont souvent ternes, vert de gris, évoquant un environnement pas toujours suffisamment éclairé, faute de moyen, faute d'énergie, des individus qui cherchent pas l'exposition (à la lumière), qui vivent dans une forme de semi-clandestinité. Les contours des formes présentent des aspérités, des irrégularités, comme si les personnages avaient d'autres priorité que de se pomponner pour paraître en société. Les aplats de noir pour donner de la texture aux surfaces, du relief, pour rendre compte des zones d'ombre présentent les mêmes irrégularités, avec l'utilisation d'aplats pleins, mais aussi de zones charbonneuses. le lecteur plonge dans un monde avec des zones d'ombre, évoquant les secrets des uns et des autres, les manipulations cachées.

Les coscénaristes développent leur histoire selon les axes déjà présents dans les tomes précédents. le lecteur en apprend plus sur la vie de Maia Reveron, sur la constitution de ses convictions, de ses méthodes. Il voit Croger Babb à nouveau soumis à des forces qu'il ne peut pas maîtriser, ballotté par différentes factions, sans réussir à reprendre le dessus. Il apprécie que les personnages se comportent en adulte, sans pour autant être dépourvus d'émotion. Bechko et Hardman mettent en scène des personnages d'âge différent, les jeunes étant plus impétueux, et les plus âgés plus réfléchis, sans être devenus amers ou cyniques. Si le lecteur ne ressent pas une forte empathie pour eux, il s'implique dans leur situation, dans leurs espoirs, leur volonté de défendre ce qui leur appartient, dans leur ténacité à réussir à faire évoluer la situation, à se battre pour une juste cause, sans avoir de certitude quant aux effets de leur action, sans avoir de certitude sur le fait qu'elles amélioreront la situation.

Comme les 2 précédents tomes, celui-ci reste à forte teneur politique. Les auteurs racontent une aventure, avec des péripéties, les affrontements dans la jungle, la découverte d'un camp de la rébellion, la course poursuite en navettes volante à la surface de la planète. Ils continuent également de sonder les convictions politiques, ou plutôt les tactiques politiques. le lecteur découvre ainsi comment Arthur McBride a découvert que l'union fait la force, en milieu carcéral. C'est dans l'adversité qu'il a pris conscience de la force du peuple. de son côté, Maia Reveron a pu vivre dans une communauté matriarcale, avec une répartition des tâches valorisantes radicalement différente entre les femmes et les hommes, et l'accouchement comme un rite de passage vers une caste supérieure. le lecteur observe ces convictions s'opposer dans leurs méthodes, mais aussi dans leur résultat. Il voit Maia Reveron prendre la tête d'une rébellion qui souhaite faire évoluer le gouvernement, tout en préservant les appareils politiques en place, et une faction d'individus plus jeunes souhaitant une véritable révolution.

Ce troisième tome confirme encore une fois la qualité narrative de l'artiste et du coloriste, ainsi que l'épaisseur du scénario qui combine développement des personnages, conception d'un monde de science-fiction, et réflexion politique intelligente.
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