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Critique de Seraphita


Albert Vandel - « ancien capitaine de l'armée française », « Dieu à la place de Dieu » ainsi qu'il aime à le dire, ou le penser – raconte sa vie de colon français en Algérie à Ouhria, « petite Mauresque à peine nubile, que j'ai recueillie berceau et qui a grandi à l'ombre de mes idées quinze années durant pour son bien-être et le mien », même si celle-ci aime dormir paisiblement et n'écoute pas les paroles du vieux fou qui résonnent dans le vide.

Albert Vandel ? Voici d'emblée, dès les premières lignes, dès les premiers paragraphes, un personnage, le narrateur, qui sait à merveille susciter une profonde antipathie dans l'esprit du lecteur : ses mots, ses attitudes dépeignent le portrait d'un mégalomane accompli, brandissant à tout va ses attributs phalliques : un être assoiffé de pouvoir, de reconnaissance, qui aime violer (à l'aide de son « braquemart » dont il n'hésite pas à indiquer la longueur disproportionnée), tuer, manipuler, asservir, s'enivrer de toutes sortes d'alcool et de femmes… Un être raciste qui inspire une intense révulsion.

Quelles raisons ont amené l'auteur, Mathieu BELEZI, à donner la parole à cet homme singulier ? En titrant son roman « Les Vieux Fous », il laisse penser qu'il prend lui-même une distance certaine avec les propos et les agissements d'Albert Vandel, venant les dénoncer dans ce qu'ils ont de plus anormaux. La note finale rajoutée par l'auteur accrédite cette thèse. Ainsi qu'il l'écrit : « Découverts dans les deux volumes du Centenaire de l'Algérie, de Gustave Mercier, les discours prononcés par les personnalités de tous bords à l'occasion de la visite du président de la République française m'ont paru si édifiants que je n'ai pas résisté à la tentation d'en reproduire quelques extraits dans mon roman ».

« Les Vieux Fous » a pour toile de fond l'Algérie française, de 1830 à 1962, traitant de la question du colonialisme, à travers le parcours mégalomaniaque d'un homme, Albert Vandel, qui n'a qu'une aspiration : devenir le maître incontesté de l'Algérie afin qu'elle incarne au mieux la France. Cette aspiration démesurée est bien rendue par l'identification de cet homme avec l'Algérie française : il semble la personnifier puisqu'il indique qu'il a son âge : dès la page 13, il s'exclame : « et à présent que j'atteins ma cent quarante-cinquième année ».

Le portrait de cet homme antipathique m'a particulièrement rebutée, dès le début. Au fur et à mesure de ma progression, un certain sentiment d'accoutumance s'est fait jour et la dimension grotesque et risible du personnage m'est apparu. Même si, au final, je n'ai guère accroché à la lecture de ce roman, je retiens quelques aspects intéressants, moteurs d'une lecture attentive :
Le récit introspectif d'Albert Vandel est ponctué de dialogues brefs, en forme de litanies, construites de manière identique, montrant que le narrateur prend Ouhria à parti, mais celle-ci, invariablement repousse ses propos :
« - Présent, passé et avenir rampaient à nos pieds ! Tu entends, Ouhria ? Rampaient à nos pieds !
- Foutez-moi la paix, monsieur Albert, je dors » (p. 94)
Cette litanie donne un tour comique aux dires du « grand homme » et en minimise leur force suggestive. Elle montre l'indifférence d'Ouhria aux propos de son maître, qui sait, de ce fait, marquer sa liberté par rapport à son emprise aliénante, mais qui en même temps n'oublie pas la puissance de celui-ci, adjoignant à son dédain un très à propos « monsieur Albert ».
La typographie est particulièrement originale dans ce roman et mérite d'être soulignée : pas un point n'apparaît au fil des 400 pages pour marquer la fin des phrases. Par contre, de nombreux points d'exclamation ponctuent les dires d'Albert Vandel, soulignant sa force de caractère singulière. La mise en page est également bien pensée, avec de nombreux retours à la ligne, une accentuation des dialogues, une construction des chapitres qui alternent les temps narratifs : le présent (sur le mode de l'affirmation péremptoire : « Je peux vous le dire, ils ne m'auront pas » marquant la détermination pitoyable d'un homme à l'agonie) et le passé (sur le mode du narcissisme et de la mégalomanie : « C'est moi »).
Les retours à la ligne permettent d'accentuer certains traits, par exemple l'égo démesuré d'Albert Vandel :
« C'est moi
oui c'est moi qui étais l'homme préféré des femmes d'Algérie, la longueur de mon braquemart m'avait rendu célèbre du cap Matifou au djebel Amour » (p. 109)
Cette mise en page permet une lecture plus fluide, accentue certains effets, tel le rythme qui s'accélère lors de scènes d'action, ou bien le suspens.

Un roman qui dépeint un vieux fou, un personnage révulsant et ignominieux, en termes crus et réalistes qui savent dire sa perversité, sa mégalomanie. Un livre qui peut mettre mal à l'aise, qui se montre dérangeant, mais quelques dimensions bien pensées invitent à poursuivre la lecture.
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