L'intelligence artificielle est un thème à la mode. Il faut dire qu'elle a (enfin) quitté le domaine de la science-fiction pour intégrer notre vie quotidienne ; les annonces de leur succès se multiplient : victoire sur un champion mondial au jeu de go, gestion de fond d'investissement, détection précoce d'épidémies, … Que l'on soit sceptique ou enthousiaste, il nous faut désormais vivre avec.
Même notre activité favorite n'est plus à l'abri : dans ce roman de Bello, une intelligence artificielle,
Ada, a été programmée pour… écrire des romans. Des romans à l'eau de rose, certes, mais quand même. Nous extasierons-nous bientôt dans nos critiques sur une intrigue « digne des plus grands réseaux neuronaux » ou sur une ambiance « typique des machines à vecteurs de support du début du XXIe siècle » ?
Pour l'heure, cet avenir est écarté, car le programme a été volé. Qui donc s'intéresse à ce point à une intelligence artificielle créatrice de romans de gare ? C'est la délicate tâche qui sera confiée à Frank Logan, policier connu pour son intégrité, bien qu'un peu à la ramasse point de vue nouvelle technologie.
Le roman est intéressant car il nous force à le lire sur plusieurs plans à la fois. On est plongé dans l'intrigue, mais on doit aussi réfléchir à notre propre rapport aux livres, car les discussions sur les caractéristiques de l'
Ada provoque de nombreuses interrogations : l'écrivain a-t-il l'obligation d'écrire sur son propre vécu et transmettre sa vision du monde, ou peut-il se contenter d'être un technicien qui assemble habilement les mots ? Un texte n'a-t-il de sens que s'il est partagé et lu par plusieurs personnes ; quelle valeur accorder à un texte écrit sur mesure pour nous, mais auquel aucun autre humain n'aura accès ?
Cette lecture à plusieurs niveaux s'amplifie continuellement jusqu'à la fin du roman.
La fin s'achève sur un doute : et si le roman qu'on tient entre les mains avait été écrit par une intelligence artificielle ? On verrait alors tout autrement les petits défauts d'écriture qu'on a repéré ci et là dans le texte. Ou alors ces défauts ont-ils été commis de manière volontaire. Des critiques viennent apporter des arguments aux deux camps. Mais ces critiques eux-mêmes sont bien vite soupçonnés d'être des intelligences artificielles. Tout se termine dans un grand tourbillon où l'on finit par douter de tout, avec un texte qui propose une histoire, analyse son histoire, et analyse les analyses de son histoire.
Ça fait longtemps qu'un auteur n'avait pas bousculé à ce point mon petit confort de lecteur, et dieu sait comme j'aime être secoué par un livre ! le roman plaira autant aux amateurs de policier qu'aux gens qui aiment se torturer les méninges en tournant les pages.