La vie Alzheimer

Au fond, d'un point de vue purement logique, la vérité dans cette maladie c'est la vérité de l'âge que l'on croit avoir et non pas la vérité du calendrier. Cette pensée est toute simple et permet de se mettre dans la tête de la personne et de raisonner "comme" si elle avait vraiment 20, 30, 60 ans ou même 5 ans ! Cela permet de fournir des réponses assez simples et tout à fait rassurantes aussi bien pour l'entourage que pour la personne elle-même. Ce n'est pas du mensonge, mais de la vérité adaptée à l'âge vécu.

e degré de civilisation d'une culture se mesure bien à l'attention et à l'amour qu'elle est capable de porter aux plus vulnérables de ses membres

La première chose qui terrifie la personne Alzheimer, c'est la contrainte, quelle qu'elle soit. Toutes les entraves, toutes les contentions sont très mal vécues, car ne s'intégrant pas dans leur univers mental. Ils sont alors comme des mouches dans un bocal, des rats dans un labyrinthe, se cognant inlassablement contre des obstacles de verre.
Il faut dès lors que l'aidant, l'entourage familial, le soignant, se décrasse de ses habitudes de vie, de ses stéréotypes, de ses clichés culturels aussi : lever à 8 heures, petit-déjeuner le matin, dormir la nuit, être réveillé le jour, manger à heures fixes, dire bonjour, au revoir... Toutes les conventions, les convenances doivent s'effacer. Laisser la place à un environnement où ils peuvent vivre de manière instinctive, selon leur bon plaisir. Manger à deux heures du matin des sucreries, passer la nuit dans un fauteuil, déambuler tant qu'on veut, tirer la langue à qui on veut, chanter, hurler même, rien ne doit être interdit si l'on veut réduire l'angoisse, l'agitation. En un mot, laissons-les s'agiter pour qu'ils ne s'agitent plus !

Depuis l'invention de la parole, les humains ont perdu la majeure partie de leurs compétences sensorielles et ne savent plus parler avec leurs odeurs, leur peau, leurs gestes, leurs intuitions. Nous n'entendons plus qu'avec nos oreilles et c'est dommage !

Là-bas, dans l'Empire du milieu, quand on commence à radoter, l'expression consacrée est que l'on "remonte en enfance" ; on ne "retombe pas en enfance" comme chez nous : vieillir est une élévation, pas une déchéance !

Nous écrasons les données anciennes dans les dédales de notre cerveau pour n'utiliser que le courant, le trivial et l'utilisable. Mais rien ne s’efface, tout s’accumule et dans la maladie, le récent disparait. Le vide se comble peu à peu avec ce qui est enfoui très, très loin dans sa mémoire et qui prend place. Ce passé qui émerge peu à peu au fur et à mesure que le disque dur se purge des souvenirs récents : on ne retombe pas dans son enfance, on le retrouve !