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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une nouvelle série consacrée à Jessica Jones, lancée à l'occasion de la série télévisée consacrée au même personnage : Jessica Jones. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2017, écrits par Brian Michael Bendis, dessinés et encrés par Michael Gaydos, avec une mise en couleurs de Matt Hollingsworth. Chaque épisode dispose d'une magnifique couverture réalisée par David Mack, l'auteur de Kabuki. L'éditeur Marvel a republié l'intégralité des épisodes de la série Jessica Jones parus sous le label MAX, à commencer par Alias Volume 1, également par Bendis & Gaydos.

En prison dans The Cellar, Jessica Jones reçoit la visite de 2 gardes qui lui annoncent qu'elle est libérée sous caution. Ils ne savent pas qui a payé la caution. Après avoir récupéré ses maigres possessions, elle décide de ne pas attendre la navette maritime et effectue un saut vers la berge, en utilisant ses superpouvoirs, mais trop court. Elle se rend à son bureau de détective privé et prend connaissance de ses messages. Elle est rapidement interrompue par l'arrivée de Misty Knight qui vient lui demander où est le bébé. Il s'en suit un bref affrontement physique. Jessica peut alors continuer le message ; il s'agit d'une demande d'enquête sur un mari.

Jessica Jones fixe rapidement un rendez-vous avec Sophie Brownlee. Elles se rencontrent à la terrasse d'un café, et Jessica écoute l'histoire de sa cliente. Cette dernière explique que son mari est persuadé venir d'une autre dimension et avoir mené une autre vie, avec une autre femme prénommée Gwen, dont il a eu un enfant prénommé Norman. Jessica Jones accepte de s'occuper de cette histoire qui a l'air très peu probable. Elle se rend compte qu'elles sont observées par une personne sur le mur d'un building plusieurs étages plus haut. Elle quitte Sophie Brownlee et va confronter Jessica Drew. Quelque temps plus tard, elle doit faire face à Luke Cage. Puis elle est enlevée pour le compte d'une dénommée Alison Green.

Le lecteur n'attendait pas forcément avec grande impatience cette série, même réalisée par ses créateurs originels. Lorsque la première série est parue (28 épisodes entre 2001 et 2004), elle constituait une nouveauté par rapport au reste de la production, avec des thèmes adultes, un langage cru et un personnage principal sous le coup d'un fort dégout de soi-même. Brian Michael Bendis y utilisait des techniques narratives novatrices pour les comics, et Michael Gaydos réalisait des dessins noirs et bruts. Depuis plus de 10 ans ont passé, Bendis est devenu le scénariste phare de Marvel, mais en perdant en route toute ambition littéraire, et il a ramené Jessica Jones dans l'univers partagé Marvel. Elle y a gagné un mari (Luke Cage) et un bébé (Danielle), et perdu son mordant et sn cynisme (voir Jessica Jones: Avenger également écrit par Bendis). Fallait-il vraiment revenir sur les lieux du crime ? le lecteur se heurte de prie abord à la beauté de la couverture réalisée par David Mack : difficile de résister à une telle invitation à la lecture. Ensuite, en feuilletant rapidement le tome, il constate que les dessins Michael Gaydos ont conservé leur esthétique particulière. Allez quoi, un tome pour voir, ça n'engage pas à grand-chose.

Dès la première page, le lecteur retrouve le ton de la série Alias : une femme dans une mouise relative, pas complètement responsable, avec une forme d'autodépréciation et de dérision quant à ses capacités. La liste des objets qu'elle récupère avant de sortir de la prison en dit long sur son dénuement, et débute la liste de clins d'oeil avec la mention d'une carte de membre des Avengers, mais ayant expiré. Tout du long de tome, le scénariste va faire référence aux aventures passées de Jones, essentiellement au travers de ses liens avec d'autres superhéros comme Luke Cage, Captain Marvel (Carol Danvers), Misty Knight, Jessica Drew. Il est possible d'y voir une forme de capitalisation sur le passé, mais en fait Bendis se sert de ces liens pour montrer comment ces individus perçoivent Jessica Jones, pour rappeler qu'elle a un passé peu reluisant de perdante qui n'a rien de magnifique. le récit fait référence à d'autres éléments de la continuité de l'univers partagé Marvel, à commencer par une allusion voilée à Secret Wars (version 2015, par Jonathan Hickman & Esad Ribic), une autre beaucoup plus voilée à Civil War II. Il apparaît également quelques autres superhéros le temps d'une vignette ou d'une page. C'est le cas de Ms. Marvel (Kamala Khan) et Spider-Man (Miles Morales) pour bien montrer que cette histoire est contemporaine de celles de l'univers Marvel en 2017.

Bendis utilise également des personnages très secondaires comme le supercriminel Spot, ou l'apprenti superhéros Leap-Frog. En intégrant de tels personnages, il insère une touche de dérision qui s'exerce à l'encontre de Jessica Jones, puisque dans ses activités, elle se retrouve confrontée aux personnages servant de blagues aux vrais superhéros Marvel ceux qui comptent. Ces différents éléments concourent à rappeler que Jessica Jones n'a jamais été une superhéroïne de premier plan, et que le pic de sa carrière est derrière elle. de manière insidieuse, cela participe également à une forme de discrédit sur sa compétence. En fait cette femme n'a jamais percé en tant que superhéroïne, et elle est restée au bas de l'échelle des superhéros, ne méritant même pas de porter ce titre. D'ailleurs elle n'en enfile jamais le costume (de Jewel) durant ces épisodes. La présence de Ben Urich dans un épisode rappelle également ce statut de classe sociale à faible revenu et de poids du manque d'espoir. La mise en couleurs de Matt Hollingsworth repose sur des teintes souvent cafardeuses, jamais radieuses. C'est comme si Jones évolue dans un monde un peu terne, dans lequel le soleil n'arrive jamais à dissiper la banalité et le caractère vaguement sordide, vaguement déprimant.

Les dessins de Michael Gaydos montrent une réalité proche du quotidien. Les vêtements sont fonctionnels, souvent banals, à commencer par le jean et le teeshirt informes de Jessica, et son blouson en toile d'une couleur indéterminée. Dans cette banalité, le blouson en cuir de Jessica Drew fait tout de suite plus habillé, et le costume blanc d'Alison Green atteste d'une personne disposant de plus de moyens financiers. L'artiste prend soin d'établir systématiquement où se déroule chaque séquence. Il peut le faire avec des traits un peu gras pour tracer les lignes principales du lieu, ou avoir recourir à l'infographie pour intégrer des arrière-plans à base de photographies dans lesquelles le contraste a été augmenté jusqu'au point de ne laisser que de gros traits noirs et des aplats, avec des traits secs pour les textures. Ces inserts sont très efficaces pour rendre compte de l'environnement urbain.

Comme dans la série précédente, Michael Gaydos aime bien se focaliser sur les têtes des personnages en train de parler. Contrairement à la série précédente, il ne recourt pas à l'utilisation de la même case reproduite plusieurs fois pour indiquer un instant qui dure. Ces dialogues mis en scène sur la base de têtes en train de parler s'avèrent adaptés car Bendis reprend la forme naturaliste d'individus s'interrompant les uns les autres, comme dans une discussion normale. En cours d'épisode 6, Jessica Jones se retrouve à 2 reprises en train d'interroger monsieur Brownlee, dans une pièce aveugle dans le commissariat, à la demande de l'inspecteur Brad Costello. le lecteur retrouve avec plaisir la capacité de Bendis à organiser un interrogatoire, comme dans la série Powers avec Michael Avon Oeming. À ces occasions, la mise en scène de Gaydos fait sens puisque le mouvement des têtes et les expressions de visage permettent de suivre le flux de la conversation et de se rendre de qui a le dessus.

Michael Gaydos établit donc une narration visuelle qui réussit à faire coexister sur le même plan le quotidien banal et peu glorieux de Jessica Jones, la banalité de son quotidien, l'incontournable altérité de ceux qu'elle rencontre, l'existence d'individus aux capacités extraordinaires. le lecteur éprouve la sensation de se retrouver dans les épisodes de Daredevil réalisés par Bendis & Alex Maleev, avec une fibre superhéros moins prégnante. L'intrigue mêle plusieurs fils : le retour de Jessica Jones à sa vie normale, l'absence inexplicable de sa fille, le risque que Jessica soit sur la pente d'un comportement autodestructeur, l'enquête relative aux dires étranges du mari de Sophie Brownlee, les mystérieuses manigances d'Alison Green. le lecteur apprécie à sa juste valeur que le scénariste ait construit un récit bien fourni, plutôt que les intrigues décompressées qu'il a pris l'habitude de réaliser pour ses séries de superhéros traditionnels. Il réussit très bien à établir un suspense, et à montrer une personne obligée de mener de front plusieurs affaires dans sa vie. Il sait également introduire le doute dans l'esprit du lecteur quant au réel état d'esprit de Jessica Jones. À l'évidence, il y a quelque chose qui ne va pas, ne serait-ce que du fait de l'absence de sa fille Danielle, et de la manière dont elle est affectée par son enquête.

En ouvrant ce tome, le lecteur n'entretient pas beaucoup d'espoir que Brian Michael Bendis ait produit un récit qui ne soit pas fabriqué au kilomètre, sur la base d'un scénario timbre-poste, et de tics d'écriture en roue libre. Il commence par apprécier à leur juste valeur les magnifiques couvertures de David Mack qui n'a rien sacrifié de ses exigences artistiques. Il constate rapidement que Michael Gaydos s'est fortement impliqué dans ses planches et qu'il sait établir une ambiance un peu glauque, faisant coexister avec naturel les différentes dimensions du récit. Il a la surprise de découvrir que Bendis assure plus que le minimum syndical, avec un récit fourni et un personnage principal complexe. le comportement de Jessica Jones amène également le lecteur à s'interroger sur son état d'esprit, sur ses motivations, sur la pertinence de ses choix, sur l'établissement de ses priorités, sans réponse morale facile.
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