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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Revolution (épisodes 1 à 5). Il contient les épisodes 6 à 11, initialement parus en 2013, écrits par Brian Michael Bendis, dessinés, encrés et mis en couleurs par Frazer Irving (épisodes 6, 7, 10 et 11), dessinés et mis en couleurs par Chris Bachalo (épisodes 8 et 9) avec un encrage de Tim Townsend (aidé par Mark Irwin, al Vey et Jaime Mendoza pour l'épisode 9).

Épisodes 6 & 7 - Dormammu a décidé d'envahir la dimension des Limbes sur laquelle règne Magik (Illyana Rasputin) et qui lui fournit une partie de ses superpouvoirs. L'équipe des Uncanny X-Men se retrouve dans les limbes en plein coeur du conflit. Elle se compose de Celeste, Irma et Phoebe Cuckoo, Angel (Warren Worthington), Tempus (Eva Bell), Goldballs (Fabio Medina), Triage (Christopher Muse), Benjamin Deeds (pas de nom de code), Cyclops (Scott Summers), Emma Frost, Magneto et Magik. Épisodes 8 & 9 - Fabio Medina a décidé qu'il n'était pas fait pour une vie de X-Men et il rentre chez lui. Non seulement ses parents acceptent mal sa condition de mutant, mais en plus un agent spécial du SHIELD (Alison Blaire) vient pour l'interroger. Cyclops et Magneto ont une discussion à coeur ouvert. Épisode 10 & 11 - Contre toute attente, un groupe de citoyens a organisé une manifestation en faveur des positions politiques de Cyclops. Ce dernier décide de se rendre sur place avec quelques membres de son équipe pour les remercier de leur soutien. Il n'aurait pas dû. Magneto est convoqué par Maria Hill (directrice du SHIELD) pour lui indiquer le nom de son nouveau contact.

Décidément, Brian Michael Bendis (en abrégé BMB) n'a pas choisi la facilité avec cette série. Il met en scène une équipe de personnages brisés, au sens propre comme au figuré. le plus traumatisé de tous est bien sûr Scott Summers, à la fois meurtrier involontaire, responsable d'un nouveau groupe de mutants, pourchassé comme un criminel, incapable de maîtriser l'usage de ses pouvoirs. Les 2 premiers épisodes permettent également de prendre conscience de l'ampleur des dérèglements des pouvoirs d'Illyana, Magneto n'est pas beaucoup mieux loti, ni Emma Frost. Il en découle un ton relativement pessimiste de voir ces individus à la fois hors la loi, mais aussi souffrant d'une forme d'infirmité diminuant leurs capacités.

Cyclops a donc recruté plusieurs adolescents dont les pouvoirs se sont manifestés pour la première fois (Eva Bell, Fabio Medina, Chistopher Muse, Bejamin Deeds), et encore un nouveau dans ces épisodes (David Bond, surnommé Hijack). Comme dans le tome précédent, ces personnages ne disposent pas de beaucoup de cases pour exister et s'étoffer, sauf Goldballs. Bendis en profite d'ailleurs pour se moquer de sa propre créativité puisque Jennifer (sa propre soeur) suggère qu'il est capable de faire apparaître des boules dorées y compris avec ses fesses. Bendis insère une forme de dérision plus ou moins marquée quant aux pouvoirs des jeunes mutants, pour renforcer le contraste dès qu'ils sont utilisés avec force ou puissance. Cet aspect joue parfois contre l'immersion en introduisant un second degré autoréflexif à la fois en opposition avec le sérieux de la situation des X-Men, à la fois trop conscient d'être dans une narration.

A force de vouloir mettre beaucoup d'éléments dans chaque épisode pour pouvoir avancer de manière significative, Bendis finit par jouer contre lui-même. D'un côté, la multiplication des personnages principaux et secondaires offre de nombreux points de vue et une vraie richesse narrative. de l'autre chaque fois que Bendis passe d'un personnage à l'autre, le lecteur a presque l'impression de changer d'histoire, tellement chaque point de vue se focalise sur des enjeux différents. Bendis arrive à transcrire les intérêts et préoccupations de Scott Summers, comme celle de Fabio Medina, ce qui correspond quasiment à un grand écart tellement elles sont éloignées. À force de papillonner rapidement d'un personnage à l'autre, le scénariste donne parfois l'impression de ne jamais avoir le temps de développer pleinement une idée. Par exemple, le fait qu'Irma change de couleur de cheveux ne donne lieu qu'à des réactions superficielles de la part de ses soeurs, sans que le lecteur puisse se faire une idée des conséquences psychologiques. Comme de nombreux scénaristes avant lui, Bendis ne voit en elles qu'un artifice narratif décoratif.

À leur manière, les dessinateurs participent également à cette impression de tiraillement dans des directions très différentes. Pour commencer, Frazer Irving et Chris Bachalo oeuvrent dans des registres graphiques fort éloignés. Les dessins de Bachalo ont un rendu similaire à un dessin traditionnel, crayonné + encrage, et une mise en couleurs assez réaliste, uniquement travaillée pour créer une ambiance spécifique à chaque scène. Il apporte un grand soin aux vêtements pour leur donner une allure jeune et sportive. Il dessine les yeux un peu plus grands que la normale pour accentuer leur expressivité. Il joue de temps à autre sur les proportions morphologiques pour renforcer une impression, par exemple la tête de Magneto un peu trop petite pour qu'elle soit masquée par son col très impressionnant. Et il affectionne les silhouettes élancées, voire filiformes pour les personnages féminins. Il ne s'attarde pas avec maniaquerie sur les détails, donnant parfois une apparence de jouet à certains éléments (l'helicarrier du SHIELD par exemple). Cette approche visuelle est bien appropriée aux jeunes recrues de Cyclops. Par contre, elle ne rend pas compte de l'âge des adultes, les transformant parfois en adolescents, en décalage avec leurs émotions ou leurs déclarations.

Chaque page de Frazer Irving est un choc visuel fort, vraisemblablement réalisée à l'infographie depuis le contour de chaque élément jusqu'à la mise en couleurs. Dans la première page, les 2 personnages sont représentés de manière réaliste, presque photoréaliste mais sans un niveau de détails important. Il s'agit de dessins très sophistiqués dans lesquels la couleur apporte des informations supplémentaires par rapport aux contours, tels que la luminosité, les ombres portées, les motifs sur les étoffes, etc. Dans cette première scène, une jeune femme conduit un véhicule de type "Smart", immédiatement identifiable par sa forme, tout en étant épuré de tout détail superflu. le lecteur est ainsi dans une banlieue américaine, sur la voie publique, tout en ayant la sensation de voir la voiture telle qu'elle existe, une immersion complète, baignant dans des couleurs décalées vers l'orange et le vert. Il utilise cette méthode d'épuration pour les pins en arrière plan de la base de Cyclops, tirant ce qui semble être une photographie de pin vers l'abstraction pour une image à la frontière de la représentation et de la sensation. Là encore immersion totale garantie.

La deuxième séquence illustrée par Irving est encore plus intense : elle se passe dans le domaine des Limbes de Magik. Traditionnellement, les dessinateurs précédents représentent ce lieu sous la forme d'une terre désolé, sur laquelle pèse un couvercle nuageux indiscernable ayant pour conséquence des ténèbres éternelles. Irving choisit, pour les arrières plans, des camaïeux sombres et indistincts rendant compte de l'état d'esprit du personnage en train de parler ou d'agir. Dans cet affrontement entre les X-Men et Dormammu (qui relève effectivement plus de la sphère psychique que physique), ce choix de représentation est à nouveau des plus pertinents et autrement plus évocateur que des paysages désolés. Frazer Irving arrive même à combiner approche descriptive et approche symbolique, dans la base aérienne du SHIELD (helicarrier) lors des scènes impliquant Maria Hill. Il renforce chaque ambiance par des choix de couleurs audacieux (parfois presque une inversion négative), couleurs réalisées à l'infographie avec des textures et des dégradés complexes.

Ce deuxième tome de la série "Uncanny X-Men" de Brian Michael Bendis constitue une évolution positive par rapport au premier, tout en comprenant des hiatus narratifs dérangeants. Bendis continue à s'écarter de sa tendance narrative de décompression, en remplissant chaque épisode d'événements et d'échanges entre les personnages. Mais au fil des pages, le lecteur constate que la multiplication des personnages finit par transformer chacune de leur mise en avant en une intervention très dense qui n'a pas le temps de déboucher sur un élément concret. Ces épisodes sont l'occasion pour Bendis d'avancer l'intrigue principale en ce qui concerne la maîtrise des pouvoirs de Magik, la surveillance du groupe de Cyclops par le SHIELD, le recrutement d'un nouveau mutant, le raccord avec le crossover du tome suivant Battle of the atom. Côté visuel, Bachalo propose des images très personnelles et vivantes, mais souffrant toujours de représenter des adultes comme des adolescents, et d'insuffler un côté comique dans des moments tragiques. Frazer Irving réussit un tour de force peu commun dans ses images en immergeant totalement le lecteur dans l'instant présent, et dans les émotions des personnages. Par contre le coté radical de ses illustrations pourra en rebuter certains.
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