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Critique de Malaura


« J'arrivai dans cette ville à l'automne ».
Sous un ciel en lambeaux et un vent violent qui souffle par les rues, le narrateur arrive dans une grande ville étrangère encerclée par le bourdonnement de l'océan.
Un unique pantalon, peu d'argent en poche, il cherche un travail et un toit. Dans la grande ville, pour les gens comme lui « il existe des greniers ou des sous-sols ».
Il est seul. Partout autour de lui « des gens, des gens, des gens ».
Il erre à la recherche d'un logement, il ne veut pas se décourager.
Dans un immeuble immense, le long de couloirs à perte de vue où les portes se suivent, il finit par trouver une chambre bon marché sous les toits, loin du vacarme de la rue en contrebas.
Il s'y enferme avec la volonté « d'enfermer le monde » à l'extérieur, s'en protéger, et faire venir à lui un autre monde, plus vaste, celui du souvenir, celui dont « il est le seul à avoir besoin, à l'aimer et à lui donner vie » et dans lequel il y a la femme aimée et séparée.
Puis il découvre la ville, ses lumières qui s'animent la nuit dans sa chambre et dont les reflets lui font des clins d'oeil ; il regarde les gens, « ces millions d'hommes et de femmes qui avaient accompli le même chemin que lui », et tandis qu'il observe ces minuscules existence semblables à la sienne, il se sent prêt à se fondre dans cette immensité car comme tous les exilés, lui aussi a apporté quelque chose de précieux avec lui, c'est la présence de sa femme qu'il sent auprès de lui, même par-delà la séparation. « Avec toi qui n'es pas ici mais dont je sens la présence dans cet air que je respire. »

Pas plus gros qu'une nouvelle, d'une trentaine de pages à peine, ce bref récit de l'écrivain russe Nina Berberova (1901-1993) est un condensé d'émotion et de sensibilité.
Réduit à sa plus simple épure, comme une esquisse sur un papier volant, dont la forme s'anime, se déploie, vivante, mouvante à l'image de cette grande ville tentaculaire si imposante, si fascinante, dans quoi le narrateur va désormais se fondre et prendre place.
De cette ville nous ne saurons rien mais l'intensité de sa vie à toute heure du jour et de la nuit, les gigantesques immeubles, les innombrables lumières, le grondement de l'océan en arrière-plan, évoquent d'emblée la ville de New-York, ville dans laquelle Nina Berberova elle-même poussée à l'exil, émigre peu avant la rédaction de ce texte en 1952.
Du narrateur nous n'en saurons pas davantage, ni son nom, ni la raison qui l'a contraint à se séparer de l'être aimé. Cependant cet anonymat, ce peu d'identité qui lui est accordé, loin de le dévaloriser, lui fait au contraire prendre toute son importance puisqu'il devient ainsi l'incarnation même de l'exil, la figure de l'exil, à l'instar de toutes ces vies croisées dans les rues ou derrière les fenêtres de chambres d'immeubles, une femme, des enfants, un être informe couché sur un canapé… « La diversité des visages, l'égalité du passé. »
Personnification de l'exilé, le narrateur exprime les sentiments que tous les émigrés doivent éprouver en arrivant en terre étrangère ; sentiment de solitude, d'égarement, de peur face à ce vaste inconnu s'ouvrant à eux, mais aussi exaltation profonde et incommensurable foi en l'espoir d'une vie nouvelle.
En un minimum d'espace, dans un phrasé simple et paisible, l'auteur de « L'accompagnatrice », « le roseau révolté » ou « C'est moi qui souligne », insuffle à cette « Grande ville » la respiration qu'il faut pour nous la rendre à la fois trépidante dans ses émanations, ses rythmes ou son flot continu d'individus et à la fois porteuse d'espoir.
Cela donne un joli texte très bref, ou la mélancolie se fond dans l'apaisement et le réconfort.
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