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Critique de enjie77


« La plaine bleuie éclairait le ciel, cuivrait le ventre des nuages. Il n'entendait que ses pas dans la neige, le crissement de la glace écrasée par se souliers, un chien qui aboyait, une galopade d'écoliers en sabots, la buée de leurs souffles et, coulée entre les rideaux, répandue sur les jardinets étouffés, la lumière venue des fenêtres des villas. Il restait un moment devant la sienne à regarder l'intérieur des pièces dans lesquelles, il allait rejoindre les silhouettes familières qui glissaient d'une pièce à l'autre. Il restait là, voyageur au seuil de sa maison, et goûtait dans le froid et l'obscurité, la certitude de la petite main de son fils et du baiser de sa femme. »

Je referme ce livre particulièrement émue. J'y ai retrouvé la beauté de l'écriture de Michel Bernard, cette facilité avec laquelle les termes choisis, écrits, sont des passeurs d'émotion. Ses mots sont chargés de poésie mais aussi de sentiments, d'histoire, ils suscitent en nous des sensations, des réminiscences, des images. L'auteur réalise un travail d'orfèvre d'autant plus si l'on est sensible à la beauté. C'est aussi un ouvrage d'un grand amoureux des arts, fin connaisseur qui est habité par son sujet. Il parvient à nous faire comprendre que l'obsession de Monet, c'était le côté éphémère des êtres et des choses, des couleurs. Il transcendait son inquiétude par son amour passionné de la nature qui elle, se renouvelle.

A la lecture de cette autobiographie, magnifiquement romancée, on comprend mieux cette obsession du périssable et pour cause. Derrière le Maître incontesté de la peinture impressionniste, derrière la reconnaissance du Monde entier, que de douleurs, que de souffrances cette notoriété masque. Ce grand bourru, ce taiseux, que d'épreuves aura-t-il eu à traverser. La vie ne l'aura pas ménagé.

Je reconnais avoir une grande tendresse pour les impressionnistes. A la lecture de ce livre, je me suis rendue compte que je connaissais bien les oeuvres de Monet mais aussi à quel point je ne m'étais intéressée qu'au superficiel, sans prendre véritablement conscience, qu'une toile correspond toujours à une période de la vie de l'artiste, à son histoire, à l'impact ce celle-ci au moment de sa création. C'est ainsi que j'ai pu faire le lien entre l'oeuvre et la biographie de l'artiste. Les toiles ont défilé devant mes yeux mais replacées dans un contexte précis, source d'inspiration. Ma grande joie fut de retrouver Frédéric Bazille, croisé quelque fois. Pauvre Frédéric, mort à Beaune-la-Rolande, au moment de la guerre de 1870 dans des conditions effroyables, mort jeune, trop jeune. Tout commence par la jeunesse de Monet entouré de ses amis, Bazille, Renoir, Courbet, Manet, Sisley. Mais c'est l'apparition de Camille Doncieux qui bouleverse la vie de bohême du futur Maître. Elle sera le modèle avant de devenir le grand amour de Monet et son épouse. Nous avons toutes et tous admiré Camille. Elle est la belle silhouette en robe blanche que l'on peut admirer sur les toiles de Monet, elle est aussi Camille, devenue « la femme à la robe verte ». « de l'âme de cette femme était passée dans la peinture de Claude Monet, son mari ». Camille qui savait si bien l'apaiser en posant une main pleine de tendresse sur le front de son artiste de mari, prêt à gâcher une toile, mécontent de son ouvrage.

L'auteur chemine en compagnie de Monet et nous les accompagnons d'Argenteuil à Londres, de Londres au Pays Bas, des Pays Bas de retour en France pour se terminer à Giverny. de la reconnaissance à la misère puis de la misère à la reconnaissance et enfin à la notoriété. Deux guerres auront traversées la vie du Maître, 1870 et 1914/1918, et les deuils seront au rendez-vous marquant ainsi à jamais l'oeuvre de Monet.

Michel Bernard relate avec beaucoup d'émotion, le crépuscule de la vie de Monet. Atteint de cataracte, sa peinture s'en ressent et c'est sous la pression de Clémenceau, qu'il accepte l'opération. L'intervention ayant réussie, il pourra ainsi reprendre le pinceau et terminer les Nymphéas.

Au cours de la rétrospective au Grand Palais de 2010, j'ai pu voir les quelques tableaux qu'il a peint alors qu'il n'y voyait plus grand-chose, ce fut assez rude.

Monet veut offrir deux grands panneaux des Nymphéas à l'Etat. Ils seront dédiés en hommage « au million et demi de jeunes hommes qui n'étaient pas revenus des tranchées, pour ceux qui étaient morts à sa place en 1870 et tous ceux-là, les millions d'hommes et de femmes qui avaient aimé, souffert, travaillé et rêvé sur ce morceau de terre, dans cette partie du monde, pour en faire sous le ciel changeant, une des plus belles oeuvres humaines, le plus beau des jardins ».

Clemenceau lui a fait la promesse qu'une salle serait construite et aménagée afin de présenter son oeuvre au public : « Les grandes décorations » devenue « Les Nymphéas. En 1926, l'Etat avait rempli ses obligations. L'Orangerie était prête à recevoir les Nymphéas, une cinquantaine de panneaux furent donnés par le peintre à l'Etat. Monet avait ajouté une condition au contrat : « A condition que lui soit achetée une toile de sa collection personnelle, « Femmes au jardin » et qu'elle soit exposée au Louvre, au coeur de Paris, parmi les chefs-d'oeuvre du monde. Cette toile avait une histoire, un symbole cher au coeur de Monet.

J'aime me rendre au musée Marmottan-Monet lorsqu'il n'y a pas grand monde et m'asseoir au milieu de la salle réservée aux oeuvres de Monet. Je me pose et j'admire les nymphéas, je médite dans le silence. Aujourd'hui, cette étendue d'eau foncée me rappellera qu'elle porte au plus profond d'elle-même, dans son intimité, une vie faite d'amour, de bonheurs, de tourments et de chagrins.

Ce sont des livres tels que celui-ci qui permettent, au commun des mortels, non seulement de savourer un style d'écriture mais aussi de pénétrer l'intimité d'une icône sans difficulté et avec la certitude que l'auteur a tenté d'être au plus proche de la vérité. Un grand merci à Annette et Alain qui ont eu la gentillesse de me conseiller cette lecture.

NB : Vous m'excuserez pour la longueur de mon commentaire.
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