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Critique de Jean-Daniel


Les tableaux du peintre américain Edward Hopper ont inspiré plusieurs romanciers, parmi lesquels Philippe Besson, avec son livre « L'arrière-saison ». Le choix du peintre Hopper n'est pas innocent, la simplification des formes, des architectures, les aplats et la luminosité des couleurs laissent libre champ à la liberté créatrice de l'écrivain. Philippe Besson indique que « L'arrière-saison » est issu de l' « envie impérieuse » que lui a donné « Nighthawks » de raconter l'histoire de cette femme et des hommes qui l'entourent dans un café de Cape Cod.

Le tableau « Nighthawks » présente un bar à l'angle d'une rue à New-York. L'automne commence à s'installer, il fait nuit, la rue est déserte, on voit un homme et une femme rousse vêtue d'une robe rouge qui nous rappelle la féminité mais aussi la violence, accoudés tous deux au comptoir. Un troisième consommateur, assis seul, est peint de dos. Le serveur est en tenue blanche, penché sur son bar, occupé par son travail, il est le seul personnage en mouvement. Les personnages ne se regardent pas et paraissent absorbés en eux-mêmes.

Les tableaux de Hopper nous touchent car ils sont d'une simplicité trompeuse et d'une naïveté remplie de symboles. Philippe Besson laisse son imagination prendre possession des personnages et donne vie à ce tableau. Il imagine ce que les personnages pensent et disent. Rapidement, ils s'animent et une histoire se construit entre eux. Une intrigue amoureuse s'esquisse à l'intérieur du restaurant-bar, décor unique du roman.

Hopper oppose à la frénésie de la société américaine, une attitude de réserve, de statisme, d'immobilité et de solitude ; pas de personnages agités ou de représentation de foule. Hopper essaie d'imposer l'image de personnages qui ont le temps de s'isoler et de s'adonner à la méditation. Dans un style très dépouillé, Besson transforme le café Phillies de New-York en restaurant à Cape Cod et l'histoire se déroule comme une pièce de théâtre avec les unités de lieu et de temps. Seuls les souvenirs nous emmènent quelques années plus tôt hors de cette salle. Nous sommes au théâtre et pourtant il y a peu de dialogues, cette rareté accentue les silences des protagonistes et nous maintient constamment dans l'atmosphère du tableau.

Le climat morose d'une Amérique « petit-bourgeois » est rendu dans l'arrière-saison où le bar se mue en café-théâtre. le temps d'une représentation, Louise et ses comparses endossent les secrets des personnages figés à travers lesquels Hopper a représenté « le reflet négatif du rêve américain ».

Louise, la femme en rouge, écrit des pièces à succès. Elle attend Norman, son amant, qui lui a promis de rompre avec sa femme puis de la rejoindre. Mais au lieu de Norman, c'est un autre homme qui arrive inopinément : Stephen Townsend, l'homme avec lequel Louise a vécu une histoire d'amour passionnée jusqu'au jour où il la laissé tomber pour une autre femme avec qui il est séparé depuis peu. On assiste aux retrouvailles de ces anciens amants, cinq ans après leur séparation. Norman, lui ne viendra pas, en dépit de sa promesse, n'ayant pu rompre avec sa femme.
L'intrigue n'est en fait pas nouvelle, la femme attend un homme qui ne viendra pas mais arrive un homme qu'elle n'attendait plus. Les mots sont justes, comme des touches de couleur dont l'assemblage forme un tableau. le texte, évocateur et précis, comme la peinture de Hopper, se lit avec plaisir et nous permet d'imaginer la scène.

Dans ce tableau à huis-clos, l'analyse des sentiments est très fine. Comment peut-on se reparler au bout de cinq années de séparation durant laquelle chacun a évolué de son côté, comment renouer le lien sans commettre d'impair ?

Hopper s'est souvent inspiré de la littérature et du cinéma pour peindre ses tableaux mais inversement, des écrivains ou cinéastes se sont inspirés de ses tableaux. Le grand talent de Besson est d'avoir réussi à donner vie à des personnages de tableaux et de mener par petites touches le lecteur dans la scène. Il sait remarquablement refléter l'atmosphère suggérée par le tableau de Hopper. Celui qui aime la peinture d'Edward Hopper devrait apprécier ce roman, c'est mon cas, et pendant toute ma lecture le tableau est resté présent dans mon esprit.
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