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Critique de Eric75


Le 14 septembre 2015, à 9h50 du matin, un signal provenant de l'espace lointain a fait vibrer pendant 0,2 seconde un petit miroir prévu à cet effet, modifiant sa position initiale d'un infime déplacement. Et quand on parle d'infime déplacement, c'est vraiment infime : 10 puissance –18 mètre, soit une distance un millier de fois inférieure à la taille du proton. Et quand on parle d'espace lointain, ce n'est pas non plus une plaisanterie : au bas mot 1,3 milliard d'années-lumière.

Le petit miroir en question, situé sur l'un des interféromètres LIGO, a réagi pendant 0,2 seconde à un événement qui s'est donc produit il y a 1,3 milliard d'années. Il s'agit bien sûr de la première détection d'une onde gravitationnelle, une déformation de l'espace-temps théorisée par Einstein en 1916 et provoquée par un phénomène gravitationnel extrêmement violent.

Les caractéristiques de cette onde, baptisée depuis GW150914, indiquent une fusion de deux trous noirs d'environ 26 et 39 masses solaires. Et quand on dit extrêmement violent, on peut se référer à Kip Thorne, spécialiste de la question, qui a annoncé : « La puissance totale libérée dans les ondes gravitationnelles pendant la brève collision était cinquante fois plus grande que toute la puissance diffusée par toutes les étoiles de l'univers mises ensemble. »

Après ce petit rappel, venons-en à l'ouvrage de Pierre Binétruy. Sous le copyright 2015, la mention « nouveau tirage corrigé » m'avait fait espérer une actualisation tenant compte de l'événement cité plus haut. Mais pas du tout ! Désillusion cruelle ! Il faudra donc attendre, si toutefois l'éditeur pense que c'est une bonne idée, la prochaine réédition « revue et augmentée ».

Qu'importe, ce livre reste (selon une brève inspection des ouvrages parus sur la question, cf. ma liste publiée dans Babelio, le lien se situe à droite de la fiche du livre) l'un des ouvrages de vulgarisation le plus complet et le plus accessible sur les ondes gravitationnelles.

Pierre Binétruy commence de façon classique par une présentation de la notion de gravitation à travers les âges : Galilée, Newton, Einstein. Puis très vite, il entre dans le vif du sujet, en décrivant les concepts physiques et cosmologiques nécessaires à la compréhension de son propos : les équations de la relativité générale, l'espace-temps courbé par la masse, l'expansion de l'Univers, mais aussi la mesure de la vitesse de la lumière (Fizeau, Foucault), le Big Bang (Lemaître), le corps noir (Planck), la matière sombre (Zwicky), le fond diffus cosmologique ou micro-onde (prédit par Gamov en 1940, découvert par Penzias et Wilson en 1964), la recombinaison 380.000 ans après le Big Bang qui rendit L Univers transparent, le Modèle Standard, l'inflation, l'énergie du vide, l'antimatière et le boson de Higgs… pour ne citer que quelques exemples.

L'auteur s'attaque ensuite, avec beaucoup de clarté, au problème de la platitude de l'Univers et à l'étude des anisotropies du fond cosmologique, en rappelant les avancées dues aux missions des satellites COBE, WMAP et Planck qui ont confirmé l'inflation et la platitude. Enfin, il rappelle les principes à l'oeuvre dans la formation et le comportement des trous noirs, véritables laboratoires naturels permettant d'observer les phénomènes gravitationnels.

Après ce petit tour d'horizon qui, mine de rien, n'a fait que balayer L Univers tout entier, le lecteur est désormais apte à comprendre le principe d'une onde associée à la gravitation et les moyens de la détecter.

Russell Hulse et Joseph Taylor sont les premiers scientifiques qui ont mesuré précisément l'impact probable d'une onde gravitationnelle, en calculant l'énergie perdue au cours de la rotation du pulsar binaire PSR B1913+16. Cette mesure leur valut le prix Nobel de physique en 1993.

En 2014, la collaboration BICEP2 annonça un peu vite la découverte d'une onde gravitationnelle primordiale (déduite de la polarisation du fond diffus cosmologique) avant finalement de se rétracter, les résultats ayant été invalidés par la collaboration Planck.

Mais les plus grandes chances de succès viendront – et c'est vérifié aujourd'hui – des interféromètres gravitationnels LIGO et Virgo dont la structure rappelle (en beaucoup plus grand) celle de la machinerie de Michelson et Morley qui réduisit à néant le concept de l'éther nécessaire à la physique newtonienne. Manque de pot pour les Européens, Virgo était à l'arrêt lors du passage de l'onde GW150914, qui n'a donc été détectée que par LIGO aux États-Unis.

Comme déjà signalé plus haut, le livre ne parle pas de cette première et trop récente détection, mais il aborde en revanche les projets qui donneront des résultats encore plus précis dans l'avenir : « Advanced » LIGO et Virgo ; eLISA(*) et son satellite test LISA Pathfinder(**).

Avec des schémas toujours clairs et des photographies pertinentes, le propos est ici intelligemment illustré. Pour des raisons éditoriales et sans doute de coût de fabrication, les images sont insérées en noir et blanc aux endroits ad hoc du texte, puis reprises dans un encart couleur situé à mi-parcours de la lecture. On évite ainsi les pages épaisses et désagréables que l'on trouve parfois avec certains livres d'Hubert Reeves et de Stephen Hawking.

Pour conclure, on ne peut que recommander cet ouvrage à tous ceux qui, de près (à une distance mille fois plus petite que la taille du proton) ou de loin (aux confins de l'Univers) s'intéressent aux recherches actuelles sur l'espace-temps et la gravitation, l'infiniment petit et l'infiniment grand, et aux expériences toujours plus pointues destinées à valider ces théories.

(*) le dispositif eLISA est composé de 3 satellites formant 2 bras de 1 million de kilomètres et dont le lancement est prévu pour 2034.
(**) le satellite LISA Pathfinder, lancé le 3 décembre 2015, est arrivé le 22 janvier 2016 sur son orbite finale, mission en cours que l'on peut suivre sur internet (en français sur le site du CNRS).

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****** Ceci est ma 300e critique publiée sur Babelio *******
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