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Critique de colimasson


Les philosophes se sont mis d'accord pour se dire que la conscience leur prend la tête. Ils font une montagne de pas grand-chose. Mais les voilà qui se croient importants : ils ont proclamé que la conscience était un hard problem et ils vont se bousculer pour écrire des livres à ce sujet. Ainsi ont-ils l'impression de faire un travail plus difficile que celui des plongeurs, des chauffeurs-livreurs et des conseillers après-vente. Observons l'un de ces philosophes.


Michel Bitbol choisit de ramener la conscience au rapport d'un sujet à ses expériences. Il aurait pu choisir n'importe quoi d'autre. Aussi pouvons-nous raisonnablement accepter ce consensus pour voir à quel endroit il nous conduit.


« […] la conscience peut être entendue (au moins) de trois manières :
1)comme pure expérience (on l'appelle aussi « conscience primaire » ou « conscience phénoménale » en philosophie analytique de l'esprit) ;
2)comme expérience en retour de l'expérience, ou plus pragmatiquement comme savoir quelle expérience il y a (on l'appellera « conscience réflexive ») ;
3)comme appréhension de soi-même en tant que sujet durable de ses actes et centre de perspective de sa propre expérience (on l'appellera « conscience de soi »). »


Malheureusement, une fois la conscience décomposée en trois catégories (pourquoi pas 52 ?), Michel Bitbol se cogne à un nouveau problème : qu'est-ce qu'une expérience ? La définition de ce terme ne semble pas plus simple que celui de la conscience. le philosophe n'ose cependant pas dire qu'il n'est pas que la conscience dont il est impossible de parler : tout nous échappe. Seul Wittgenstein a peut-être osé dire quelque chose à ce sujet. Et seul Lacan a réussi à dire quelque chose des manigances que nous élaborons à notre insu pour faire que cela fonctionne quand même. Dans le domaine de la duperie, la conscience se fait apophatique. Comme à la balle au prisonnier, la dernière définition qui n'aura pas été éliminée sera peut-être la bonne.


« Tout d'abord, l'expérience n'est pas un objet. L'objet est une entité supposée exister par-delà les situations, les états subjectifs et l'être-présent. Au contraire, l'expérience consciente est située, elle est ce que cela fait d'être en ce moment. L'expérience n'est pas davantage une propriété, puisque, au lieu de l'attribuer à nos interlocuteurs après avoir cherché (en vain) à prouver qu'ils en ont une, nous nous contentons de la présupposer dans une coprésence empathique. Enfin, l'expérience n'est pas un phénomène, car celui-ci ne se spécifie pas mieux que comme une apparition au sein de l'expérience. Ainsi, l'expérience consciente n'est pas quelque chose d'isolable par une dénomination ou une prédication. »


Les mots finissent par ne plus vouloir rien dire. Epuisante accumulation. Constat d'une profonde dévitalisation de la pensée. Pinaillages en série. J'ai des fourmis dans les jambes.


« L'expérience n'est pas ailleurs ; elle est plus « ici » que quoi que ce soit d'autre ; plus ici que tous ses contenus, plus ici que n'importe quelle chose que l'on pourrait nommer ; plus ici encore que l'ici spatial. Elle n'occupe pas davantage un futur proche ou lointain ; elle est coalescente à la présence, y compris la présence de la tension vers le futur. »


La plus haute conscience pour le philosophe est évidemment celle dont ses mots ne pourront jamais rien dire : conscience immédiate plutôt que conscience différée. Michel Bitbol s'échine à le prouver en attaquant les unes après les autres les théories de la conscience des disciplines de la philosophie, de la neurologie, de la pleine conscience, etc. Ne trouve grâce à ses yeux que la conscience des « états de conscience non ordinaires ». Evidemment, puisqu'il n'est rien possible d'en dire. Michel Bitbol réalise-t-il que son entreprise de démolition de la notion de conscience dans le domaine de la rationalité philosophique vise moins la conscience elle-même qu'une certaine méthodologie universitaire de recherche ? de la même façon que les déçus des relations humaines clament leur amour des animaux qui, parce qu'ils ne parlent pas, sont supposés éminemment bons, les déçus de la philosophie universitaire se tournent vers le New Age qui, de par son inconsistance, permet la révélation de toutes les fins dernières.


« Tout est à reprendre ab initio. On doit recommencer à se persuader que pour aborder le problème de la conscience avec quelque chance de succès, il vaut justement mieux ne rien commencer ; que c'est à force de s'abstenir de commencer quoi que ce soit, à force de baigner dans cette retenue d'avant tout commencement de discours, à force de découvrir patiemment les ressources auparavant recouvertes par sa rumeur, que l'énigme se dissipe d'elle-même. »


La conscience et la philosophie n'ont sans doute rien à foutre ensemble. Que la philosophie finisse par nous dégoûter est un fait mais il convient cependant de dissocier les objets qu'elle se propose d'étudier du sentiment qu'elle finit inéluctablement par provoquer.


Michel Bitbol a effectué un travail colossal de recension des idées et des théories sur la conscience. Il s'est approprié chacune d'entre elles jusqu'à la nausée, pour en cerner la pure vanité. Si vous souhaitez vous réconcilier avec l'idée de la conscience, vous pouvez toujours lire Bernard Charbonneau (exemple sollicité uniquement par le hasard qui m'a conduit à trouver ce livre sous mes yeux). Ou vous pouvez très bien aussi ne rien faire.
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