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Critique de Franz


Compte à rebours.
Lire l'ultime numéro paru de « Dernier carré » et aller decrescendo vers les anciens bulletins de la Société des amis de la fin du monde pour tendre vers le zéro implosif peut s'avérer cohérent avec le propos des deux auteurs nihilistes, Baudouin de Bodinat et Marlène Soreda.
Après le numéro 7, éblouissant de noirceur mais laissant entendre, dans l'hiver nucléaire, le chant ténu d'un oiseau, voici le numéro 6, tout aussi percutant, remuant mais en fin de conte, inopérant tant la tragédie en marche semble implacable, la fin jouée d'avance. Face à l'inéluctable prévu de longue date, le rire est de rigueur quand l'humour noir gicle et cingle au détour d'une catastrophe annoncée. Baudouin de Bodinat écrit magnifiquement depuis l'Estaminet, en regard du cimetière. Ses mots dégonflent les baudruches de la bien-pensance, l'outrecuidance de la novlangue, les parangons du progrès. Cela soulage un peu du prurit néolibéral et de la gangrène consumériste. Son propos est cousu de vérités indubitables que l'on occulte entretemps et que l'on minimise quand elles éclatent à l'exemple des mégafeux ravageant la Terre. Pauvre France ! Ça sent le roussi par tous les coins de l'hexagone. Bodinat enfonce le clou et ça fait mal d'autant plus qu'on l'a claironné dans le désert, des décennies durant, en vain. Nous y voilà donc ! Il y a bien quelque rafistolage inopiné mais le mur est toujours là, dressé, inébranlable, stoppant à tout instant, mais quand ?, implacablement, brutalement, définitivement notre fuite en avant : « L'avarie colmatée, la civilisation titanique remit le cap à toute vapeur vers sa destination finale ». L'incipit du bulletin de Bodinat donne le ton de l'élégie. La pandémie du Covid, au genre virevoltant dans cette période paniquée, est un révélateur de l'ineptie des gouvernements hors-sol : « en proie à un sauve-qui-peut si peu nécessaire, que cette fable étonnante de n'avoir rien pour soigner, que ce déni acculait dans une impasse, contraignait à des mesures soudainement extraordinaires et d'un affolement communicatif » et de l'incapacité des hommes à s'extirper de leurs vies égoïstes et médiocres, sans esprit et sans coeur, toujours promptes à se fondre dans la termitière numérique. La virtualité a gommé la réalité et tout s'écroule alors qu' : « Il aurait pu en aller tout autrement. »
Dans les « Piètres plaisirs de Paris », Marlène Soreda revient elle-aussi sur la contamination et le confinement, avec ses incohérences et sa violence : « Comment le monde peut-il s'habituer si bien à vivre avec ça : masques et mitraillettes ? »
« Formulaires & pièces jointes » narre, par missive interposée envoyée aux collecteurs de la redevance audiovisuelle, de l'inanité de posséder un poste de télévision.
« Sous la poussière » réveille d'anciens auteurs à travers quelques morceaux choisis, toujours en écho et en phase avec les propos tenus dans le bulletin soit un présent faisandé mais zébré d'éclairs réjouissants quand des présences au monde s'affirment.
« le magasin à poudre », si paisible avant la déflagration, dresse un catalogue effrayant de l'effondrement en cours avec notamment l'envol du mercure (« 38° en Sibérie au-delà du cercle arctique ») puis conclut : « de jolies températures printanières », se réjouissait pour le lendemain une présentatrice de journal radiodiffusé.
Enfin, un abrégé d'une revue de 1914, « Maison rustique des dames ». Des préconisations sont faites pour les lits d'enfants, durs et plats, avec une paillasse de maïs : « Il n'est pas bon d'habituer les enfants à se douilletter ». Les lits des domestiques, quant à eux, doivent être d'une « extrême propreté ». « Une maîtresse de maison ne doit jamais oublier combien est dure la nécessité des inégalités sociales… ».
« Dernier carré », nourrissant et succulent, est une denrée rare, mal identifiée et répertoriée, diffuse, erratique et comme les blocs rocheux transportés par des glaciers oubliés, irradiera encore quand tout aura été calciné depuis longtemps.
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