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Critique de LeScribouillard


Le théâtre moderne a pris la tangente. Pour ceux qui ne vont jamais qu'aux comédies-boulevard jouées dans les hameaux type Chèvreville-sur-Patachoux, la scène moderne a compris que le cinéma l'avait devancée de partout, niveau réalisme du jeu, décors, effets spéciaux. Comment ne pas tuer cet art ? Y'a pas 36 solutions : innover. Avec des trucs impossibles sur grand écran : surcharge de didascalies ou au contraire absence de texte superflu jusqu'à la ponctuation, décors symbolico-minimalistes, pièces de 10 000 heures, histoire récitée en monologues ou pièces chorales, comédiens qui vont zouker parmi le public au moins une fois par séance… On pourrait croire ça chiant ou bordélique, c'est sans compter le côté provocateur de nombre de metteurs en scène, d'où le fait que tout le monde dise « ah le théâtre ma bonne dame c'est vraiment plus que pour les bobos du XVIe ». de sorte qu'il s'y est finalement créé une avant-garde bien plus diversifiée et intéressante que pour une bonne frange du 7e art.
Sans aller aussi loin dans l'underground, Les pas perdus se différencie néanmoins du théâtre occidental traditionnel du fait qu'il tente une nouvelle structure narrative : des histoires courtes interconnectées dans un désordre chronologique rarement reliées par un fil direct ; toutes ont néanmoins pour point commun de se dérouler dans une gare. L'auteure écrit dans sa (trop courte) préface que la gare est pour elle le lieu par excellence des nouveaux tournants de la vie, en raison de son imaginaire basé autour du départ, du retour chez soi, et surtout du voyage, à venir ou déjà fait. On se retrouve ainsi avec une grosse centaine de pages de sketchs comiques, tragiques ou tragi-comiques, écrits dans un style simple et faussement naïf, abordant un nombre considérable de sujets sociétaux (du chômeur en fin de carrière au racisme de tous les jours), poétiques (les pensées qu'on peut avoir après la mort d'un proche, la recherche désespérée d'un monde utopique), ou tout simplement humains, le thème de la famille revenant très régulièrement : les parents de Denise Bonal sont souvent absents, agressifs ou dans un autre monde que l'enfant, dans tous les cas brisant les ponts que l'enfant tente d'établir avec eux, l'inverse se produisant très rarement.
Alors qu'en penser ? On a là une nouvelle expérimentation de la texture d'histoire, celle-ci se composant d'une myriade de petites autres tissant un réseau pour mettre en valeur les multiples facettes d'un thème central, dans un ensemble accessible à n'importe quel âge, sans pour autant prendre le spectateur par la main vu l'austérité de certains tableaux. Pourtant, on sent que la pièce sur le papier ne suffit pas : on est loin du théâtre dans un fauteuil, et si la plume dépouillée de Bonal fait merveille pour simplifier les sentiments humains et en effectuer une sorte de vulgarisation sensorielle, on se rend difficilement compte des différentes nuances de ton et de jeu sur le papier que ses personnages pourraient emprunter afin de la mettre en relief. Bref, il s'agit là d'une pièce qu'on ne peut pas se contenter de lire sur papier, qu'on a besoin de voir plutôt que d'en faire une simple activité cérébrale pour réellement la vivre.
Portrait doux-amer d'individus se cherchant sans jamais être sûrs de parfaitement se trouver, tantôt drôle, tantôt triste et tantôt grinçant, Les pas perdus apparaissent au final comme un matériau cotonneux et éthéré, mais extrêmement malléable et ne demandant qu'à être enrichi. Allez me lire cette pièce et essayer de la monter comme je le fais moi-même actuellement, car après tout, c'est pour votre culture…
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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