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Critique de Krout


Quel lien entre philosophie et architecture ? That's the question.
Que serait Socrate advenu sans l'agora ? Où aurait-il pu porter ses pas ? Pratiquer sa dialectique ? Déployer les déambulations de sa pensée ? Comment aurait-il trouvé sa place (au monde) sans l'agora ?


Chronique dont je revendique la subjectivité étant tombé en amour avec l'architecture organique par l'entremise de Frank Lloyd Wright. La première visitée fut la maison de Dana (1902 Springfield Illinois), subjugué par sa vision, j'étais. Sa façon de faire entrer la nature à l'intérieur de la maison, de l'intégrer dans l'horizontalité du paysage, d'ouvrir et fermer des espaces tout en favorisant la circulation, de provoquer des surprises, a fini par me faire accéder à une découverte émotionnelle, par les sens plus que l'intellect. Par la suite j'ai provoqué les occasions d'en découvrir beaucoup d'autres depuis ses débuts à Oak park (fin 19ème siècle) jusqu'à la maison sur la cascade (1935) mentionnée dans cet essai. Visites guidées ou non, dans beaucoup j'éprouvai la sensation d'émerveillement d'être chez moi et toucher le monde. J'en déduisais, en ma jeunesse encore perméable, que le talent d'un architecte tenait à lire et faire parler le monde pour nous permettre de mieux nous y inscrire.


Ainsi je m'inscris de manière singulière dans l'ordre d'Heidegger Bâtir, Habiter, Penser, l'architecte précédant la pensée du philosophe, où en 1951 il fit part de ses réflexions sur la reconstruction d'après- guerre et interpella les architectes en réaction au mouvement Moderne. En somme il leur dit à peu près ceci : L'homme n'est pas un lapin ne songeant qu'à copuler tant et plus dans un clapier aussi fonctionnel et douillet soit-il. A bas les HLM, prisons de verre et de bêton, enfermant leurs occupants hors du monde, les coupant d'eux-mêmes ! Il leur proposa comme modèle la ferme de la forêt noire qu'il observait de son chalet. Plantée en lisière de la forêt qui la protège des vents violents, à mi-chemin entre la source et les champs, bâtie avec les matériaux de l'endroit et dont le toit est suffisamment solide pour soutenir une épaisse couche de neige qui l'isole naturellement du froid, plutôt que s'imposer elle s'intègre comme si l'endroit même l'avait attendue depuis toujours, plutôt qu'entrer en lutte contre les éléments elle s'y adosse en symbiose. Comment expliquer le refus de certains SDF à sortir de la rue, si ce n'est qu'effectivement un logement ne suffit pas à l'homme devenir ?


Je ne sais pas pour Heidegger mais j'ai toujours été frappé par l'aptitude des moines à découvrir les endroits les plus propices à l'implantation de leurs monastères, abbayes, prieurés, qu'ils soient dans des vallons, sur des hauteurs où dans les plaines, ces lieux dégagent une atmosphère de paix propice à la méditation, et pourtant beaucoup ont dû y passer avant ces religieux sans même les remarquer. Et maintenant le bâti des moines les font apparaître comme autant d'évidences, les révélant aux yeux de tous. Heidegger prend lui l'exemple du pont pour relier la terre et le ciel, les divins et les mortels. Faire apparaître ce qui préexistait et l'inscrire dans une nouvelle dynamique où l'homme trouve sa place. Ah qu'il aurait aimé le viaduc de Millau (de l'architecte anglais Sir Norman Foster et dont toutes les études ont été faites par le bureau d'étude liégeois Greisch, 100 % belge) donnant sa pleine mesure à ce lieu de la vallée du Tarn.


En un temps où de plus en plus, dans une fébrilité anxieuse, se connectent sans arrêt, (mais à quoi ?), l'appel d'Heidegger à une architecture permettant à l'homme de toucher sa nature profonde (mortelle) par des bâtis lui donnant un accès au monde dont il fait partie intégrante semble d'une urgente actualité. Il faut s'interroger sur ces mégalopoles étendant leur béton à longueur d'horizon tellement illuminées que celles et ceux qui les peuplent, éblouis par tant d'enseignes factices, ne parviennent plus à voir le ciel ni repérer une étoile pour trouver leur chemin de vie. Mais peut-être après tout la yourte mongole devient-elle le seul bâti offrant aujourd'hui encore une chance d'être-au-monde ?


Quant à la forme, c'est un prisme droit à base rectangulaire de 15 x 23 x 1.3 (en cm). La très agréable douceur du papier contraste avec la rugosité du texte qui non-obstant offre peu de prises, la faute à un langage abscons (à laquelle je rattache la phonétique abrégée d'absolument cons d'emplois de définitions hors la norme communément adoptée par les mortels pour ces mots usuels) au profane m'ayant empêché d'habiter pleinement cet ouvrage au sens heideggerien (sic) du terme. Fais ch… !
A tel point que j'ai fini par m'assoir sur mes lunettes.


Il faut dire que l'approche étymologique adoptée ne convient pas à ma pensée foisonnante qui se déploie comme les tentacules du poulpe, l'un des plus gros cerveaux de la création, simultanément dans tous les directions pour s'attacher à une vision globalisante. Je ne pourrais concevoir qu'un architecte me présente son projet en commençant par la granularité du sable, la qualité des graviers et la régularité des torsades du fer qu'il va employer pour son béton et ensuite me demander sans m'avoir offert de vue d'ensemble mon avis sur le type de verre à utiliser et le nombre de prises de courant. Non, cela ne m'aide pas à y voir clair.
Heureusement la troisième partie est plus accessible.


Dommage car avec la dérive égocentrique narcissique nous submergeant nous avons grandement besoin d'architectes mus par l'humilité du jardinier se restreignant à faire apparaître et accompagner la croissance de ce qui ne demande que cette attention pour éclore. Il en faut de la sagesse pour renoncer au mirage des effets de style et à la grandiloquence portant à l'exploitation de la terre afin de satisfaire un égo mal placé ou pour faire taire l'appât du gain facile par la répétition insensée de solutions standardisées.


Je tiens à remercier les éditions Parenthèses pour m'avoir offert la chance de me confronter, fut-ce péniblement, à cet essai érudit. Leur ouvrage est d'une très belle qualité, un seul regret le noir et blanc des photos s'il est très esthétique dans l'absolu empêche de capter les vibrations de la lumière des lieux présentés, mais le lecteur intéressé trouve assez facilement sur le net. Merci encore à Babélio pour ses belles masses critiques non-fictions.
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