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Critique de BazaR


BazaR
12 novembre 2018
J'ai refermé ce deuxième tome pantelant. Nous laisser sur une fin pareille… Bordage est très cruel.

L'auteur se prétend écrivain jardinier (je l'ai entendu le dire lors d'une table ronde un jour), c'est-à-dire qu'il ne planifie pas son récit ; il le laisse s'écouler avec un minimum de contrôle. Bien qu'imaginaires, ses personnages gardent une certaine liberté d'action et surprennent parfois leur géniteur. Cette pensée n'a cessé de m'accompagner alors que je regardais l'ange de pureté Émile et son antithèse maudite Cornuaud se dépatouiller chacun de son côté avec les événements de la Révolution Française. C'est flagrant pour Émile que la mission « qu'on » lui fait porter sur les épaules, dès lors qu'il l'accepte, entraine un peu au petit bonheur la chance. Pierre Bordage l'aide à avancer grâce à de petits coups de pouce. Émile est plus dans la réaction que dans l'action.
Cornuaud est pour sa part plus enclin à prendre le taureau par les cornes. Oh il bénéficie aussi d'une part de « chance » mais on le voit extrêmement vif à profiter de la moindre occasion d'améliorer son sort. Malgré tout, son état d'enjominé entraine souvent des complications. Je me demande si l'auteur avait prévu que sa relation avec son « hôte » prendrait ce chemin plus proche de la symbiose gagnant-gagnant que de l'esclavage du premier tome. De même je me demande s'il avait prévu que sa plume générerait chez le lecteur – chez moi en tout cas – comme un syndrome de Stockholm envers cet homme pourtant antipathique, et ce malgré ses « crises de folie sanglantes ».
Durant tout le roman, Bordage joue avec nos nerfs en rapprochant géographiquement les deux héros, en faisant tangenter leurs trajectoires. On meurt d'impatience de voir leur première rencontre et comment celle-ci va se dérouler. Du grand art.

Le fantastique est nettement plus présent dans ce deuxième tome ; on peut même parler de fantasy. Pourtant c'est encore une fois la description des événements de la Révolution qui m'a le plus fasciné. Je ne cesse d'apprendre sur cette période que je connais peu : le comité de Sûreté Générale, la Convention, la Montagne, les brissotins, le mur des fermiers généraux, le décor est superbement dépeint. Mais c'est encore une fois l'âme sans fard des hommes et des femmes que Bordage parvient à faire revivre. Loin d'être une époque bénie, la Révolution était un temps de chaos autorisant les pires bassesses. Doué pour décrire ce genre de situations, Bordage met son talent à l'oeuvre avec brio. Il sait pourtant saupoudrer la bassesse de moments plus calmes, parfois amusants, parfois d'un fort poids historique comme la visite à Marie-Antoinette dans sa prison du Temple.

La complexité du jeu politique est tellement grande qu'il est impossible d'en faire une lecture manichéenne. C'est pourtant ce que j'ai longtemps cru que Bordage voulait faire à travers les raisons de la « mission » d'Émile. Pour ceux qui la lui ont donnée, le monde se comprend seulement en termes de Mal et de Bien. Autant essayer de faire entrer des ronds dans des carrés pour Émile qui ne sait plus à quel saint se vouer – si j'ose dire – pour discriminer où se situe le vrai Mal dans la pétaudière parisienne.
Je suis donc resté sceptique quant à cette dualité manichéisme-complexité politique, jusqu'à une discussion avec Tatooa – avec qui j'ai lu ce livre en LC et qu'elle a terminé un peu avant moi – qui m'a poussé à conjecturer et à comprendre ce qui m'attendait dans les dernières pages.
Et c'était tout à fait inattendu. Même si immédiatement on pense que l'Enjomineur vient pêcher ce ressort dans une saga ultra célèbre, l'effet est jouissif. Le twist final est terrible. Comment peut-on laisser le lecteur sur une scène comme celle-là ?

Bordage est un écrivain jardinier, de son propre aveu. Voire. Même s'il ne savait pas quels méandres son fleuve aller créer, il savait très bien où il voulait lui faire rejoindre la mer. On ne peut qu'avoir planifié une révélation pareille.
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