AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de DETHYREPatricia


Un énième témoignage lu et apprécié d'un ancien déporté des camps de concentration (je les collectionne)... et pourtant il s'agit chaque fois d'un témoignage différent et révélateur de la barbarie qui était alors en oeuvre. Toujours différent, pourquoi ? Dans le contexte, dans l'expression du ressenti, dans l'analyse a posteriori, dans ce que l'auteur a fait, in fine, de cette expérience traumatisante dans sa vie personnelle et professionnelle... pour vivre malgré tout, apprécier la vie, mais aussi témoigner.

Henri Borlant est aujourd'hui âgé de 96 ans. S'il s'est mis tardivement à témoigner auprès de la société et notamment des plus jeunes, son témoignage n'est reste pas moins très précieux pour informer et surtout faire en sorte de ne jamais oublier.

Ce livre est dédicacé à ses grands-parents, à son père, à l'un de ses frères et à l'une de ses soeurs et à l'une de ses tantes qui, comme lui, ont été déportés... mais n'en sont pas revenus. Il est également dédicacé au reste de sa famille (ses ascendants qui ont survécu et ses descendants) pour leur faire connaître ce qu'il n'a jamais pu leur raconter.

Henri Borlant a en effet le sinistre privilège d'avoir été le seul survivant des 6000 enfants juifs de moins de 16 ans déportés à Auschwitz en 1942.

Dans ce court livre de 187 pages, il évoque les racines de ses ancêtres russes, la façon dont ceux-ci ont, à un moment donné, trouvé refuge en France pour échapper aux pogroms déjà nombreux en URSS. Mais le destin est trop cruel et comme beaucoup d'autres familles juives, sa famille sera en 1942 touchée par les rafles et la déportation. Après Paris où ils vivaient, c'est dans les environs d'Angers qu'ils trouveront refuge... mais c'était sans compter le fait qu'Angers était l'une des plaques tournantes du processus de souricière mis en oeuvre par les Allemands avec la complicité des préfectures locales pour, autant que faire se peut, éliminer tous les ressortissants juifs, y compris ceux qui étaient pourtant Français.

Une fois raflés, les choses s'emballent et Henri se retrouve dans les trains de la mort Direction Auschwitz-Birkenau. Très vite, il sera séparé de son père, de son frère et de sa soeur. Il ne devra sa survie qu'à la force de sa jeunesse, à sa capacité d'adaptation en apprenant très vite les rudiments de la langue allemande, polonaise et même le yiddish, à sa volonté de ne pas faire de vagues, et à l'amitié et la protection que certains, plus vieux, lui témoignent.

Croyant, Henri avait aussi la foi chevillée au corps, au point d'avoir envisagé, un temps, la prêtrise. Mais si à un moment donné, il a eu le sentiment d'avoir été abandonné de Dieu, il a gardé entière sa foi de rester fort et en vie pour pouvoir retrouver sa mère et ses frères et soeurs plus jeunes qui, eux, n'ont pas été déportés et qui néanmoins ont dû vivre longtemps cachés. Ils n'ont dû leur salut que grâce à la solidarité et à la complicité de "justes" locaux.

Henri raconte donc, avec un regard distancié - presque froid - les conditions de son acheminement vers Auschwitz, son arrivée au camp, les multiples sélections, appels, dénonciations, exterminations de masse, coups et humiliations subis, les poux, la vermine, la faim, le chaud et le froid, les maladies nombreuses et sa terreur de se retrouver au révier, antichambre de la mort. Il raconte aussi la façon dont il a intégré une espèce "d'école de maçonnerie" où les jeunes comme lui étaient formés aux métiers du bâtiment. Ces jeunes qui auront la charge de construire de nombreux bâtiments destinés à accroître la capacité d'accueil du camp, mais aussi les crématoriums.
Son récit est agrémenté ici et là de citations ou d'extraits d'autres livres écrits par d'autres auteurs, donnant plus de détails sur tel ou tel aspect de la vie dans le camp ou de l'organisation du travail, et confirmant, s'il était besoin, la multiplicité des sources et des témoignages concordants sur ce qui est avancé.

Il raconte enfin comment avec un ami il prît la décision de s'évader la veille de l'arrivée des Américains, alors que les Allemands avaient lancé leurs derniers prisonniers (quasi des morts-vivants) sur les routes, dans une "marche de la mort" désespérée et désespérante dont beaucoup n'atteindront jamais la destination.

Il raconte les conditions de son retour en France, le pourquoi de son silence en direction de ses proches, son choix de la vie plutôt que le cloître, ses nombreuses hospitalisations pour cause de tuberculose, son désir de se former (il a quitté l'école à 14 ans), d'accéder à un diplôme qui lui ouvrira les portes de la faculté de médecine car dit-il, il veut soigner, devenir médecin... ainsi que sa rencontre avec celle qui deviendra sa femme.

La dernière partie du livre évoque comment et pourquoi il en est venu à témoigner. Mais aussi, comment et pourquoi il a été amené, aussi, à faire témoigner (notamment dans des documents audiovisuels de portée historique et universelle) d'autres rescapés de la Shoah : "Je suis un passeur, peut-être parce que je suis médecin et, étant passé par la psychanalyse, j'entends des choses qui ne sont pas dites et d'autres qui sont camouflées par les mots. J'essaie de les faire émerger. Il s'agit en effet de faire sortir quelque chose de l'enfer pour le diffuser au monde civilisé."

Un témoignage très réaliste donc, mais sans pathos. Un témoignage écrit en 2011 par l'homme instruit, informé et réfléchi qu'il était devenu. Sans doute, n'aurait-il pas écrit la même chose à son retour des camps s'il n'avait été alors accaparé par d'autres nécessités, notamment celle de se nourrir et de subvenir aux besoins de sa famille retrouvée.
Mais, néanmoins, un témoignage qui a le mérite d'exister pour faire taire les révisionnistes et laisser trace pour la postérité. D'ailleurs, n'en déplaise à certains, son propos est vraiment très actuel comme en témoigne ici cet extrait :
"Quand des gens nient l'évidence, la seule question qui m'intéresse c'est : pourquoi affirment-ils ces inepties ? Sont-ils complètement stupides ? Je ne le crois pas. Je crois au contraire qu'ils savent la vérité mais qu'ils ont des arrière-pensées politiques. Ils sont issus des milieux de la collaboration avec le nazisme, dont ils ont gardé la nostalgie, et souhaitent le retour de ce type de régime totalitaire, xénophobe et raciste. Ils voudraient faire oublier les atrocités commises sous le règne de Hitler, qui inspirent l'horreur. On reconnaît le mépris des négationnistes pour les gens qui sont la cible de leur propagande. Cela a toujours été la méthode des mouvements fascistes : mentir encore et toujours afin de troubler les esprits fragilisés par les périodes de crise et les difficultés sociales et économiques."





Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}