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Critique de absolu


"Je suis gardienne de cimetière. Je vis avec la mort et meurt d'ennui avec la vie. HAbituée au calme d'un curieux village bien hiérarchisé dans son tracé et sa composition, je fuis les veuves et les orphelins, l'effervescence et la complainte. Je ratisse, je tasse, je sème, j'arrose, je fleuris, je taille, j'embellis avec des moyens de fortune la terer des défunts pour le recueillement des vivants. Je suis la main invisible qui arrache l'aspérité et les travers, je calme la douleur en renvoyant l'image colorée d'un plan de culture soigné. Je teins la miort en composant bien au-dessus d'elle et chasse en surface l'impression de disparition définitive."

Les présentations sont faites ! bienvenue chez la narratrice, sa vaste demeure dans laquelle les coeurs finissent d'exsuder leurs derniers regrets, impirment dans le bois leurs derniers désirs avant de s'effriter avec lui. Elle s'imprègne, la gardienne, de ses expirations palpables par elle-seule, se pare des couronnes mortuaires, s'enroule dans le voile de la Grande Dame en noir et parade à son bras. La mort est son domaine, son univers, son opium, son sang.

Petite elle guettait le moindre coup du sort, l'alignement fatal d'astres mortels, se faisant la fidèle témoin d'accidents, rapportant les évènements dans les moindres détails, comme si elle voulait vanter les qualités de sa meilleurs amie, mettre en avant son intelligence, sa stratégie, sa ruse, mais surtout son omniprésence, son omnipotence.

Elle veille sur ses morts comme une nourrice donne le sein aux enfants d'une affamée, aménage, entretient, répare les sépultures comme un vétérinaire panserait un animal blessé.
Le cimetière devient mausolée de son dévouement pour celle qu'elle a toujours vénérée. "Témoins privilégié de la mise en terre, je parcours les lits de mes protégés d'un oeil averti, reconnaissant au passage quelques visages, quelques regards, des visages d'os et de poussière dont le sourire reste intact dans les petits cadres d'argent scellés à même la dalle."

Une sexualité ténue, timide découverte, pointe le bout de ses hormones dans le peu d'espace que la Mort n'atteint pas dans le corps de son esclave, mort qui dessine le corps et modèle l'esprit : "les enzymes sécrétaient, le palais fleurissait, l'aphte dessinait une belle arête dans un creux mouillé, le reste du corps était ficelé dans une boule de dentelles très fines. Cheveux minces, nombril à tête chercheuse, côtes miniatures, poinçons de lait sur les attaches, la peur se nichait à l'intérieur du ventre comme une poche de bile qu'on n'arrive pas à cracher tant ça fait mal. le coeur était descendu de plusieurs crans, il tapait dans le sexe mais je ne savais pas. A dix ans, le plaisir est un pincement qui fait rougir. Un index terrorisé s'engouffre dans une datte dénoyautée. Mais on ne sait pas. le sucre et le suc restent en suspens. L'expérience est lointaine."

Fleur du mal, dévouée corps et âme, le corps se replie autour de la mort pour mieux la sentir, la toucher : "Oiseau de mauvaise augure, graine avariée, joyeuse estropiée, je faisais la courte échelle à la mort lors de ses grands travaux. Efflanquée, ma jeunesse devait suivre son cours, n'ayant droit ni à la trêve ni à l'abandon. La femme en habit d'os avait fait de moi sa soubrette[...]"

La mort, à la fois amie, terrain de jeu et arbitre. Ne laisse place qu'à l'illusion, imagination faite de pierre, de buissons et de chairs décomposées, d'âmes emmurées : "Visionnaire, j'étais l'unique détentrice du troisième oeil, la sonde précieuse qui fait imaginer. J'avais choisi l'autre sens de la vie, la marche contraire[...]"

Au fil des ans la vie devient plus lourde à porter pour ce corps ayant défié sans cesse les lois de la nature. Dénaturé dans la forme et dans ses bas-fonds, les vivants le fuient, cet abyme morbide et insupportable d'avenir. Transition, publicité véridique sur le destin à court, moyen et long terme pour les errants venus pleurer, venus arroser del leur chagrin les fleurs de leurs défunts, elle porte les échos de ces morts qui soupirent au vent des vivants malentendants.

Encore une fois Nina use d'une plume trempée dans ce qu'il y a de plus dur, de plus froid, de plus sombre, pour dire l'impossible réchauffement du corps, de l'âme, face à la vie si lâche, pour dire le vide jamais comblé, la fuite en avant des vivants qui tentent de tenir à distance ce qui de toute façon les attend, au coin de l'année ou de cette d'après. Des mots enfilés avec précision sur un fil usé, prêt à se rompre mais qui jamais ne cède.
Lien : http://www.listesratures.fr/..
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