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Critique de oblo


Livre reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.

Le festival d'Angoulême. La grande messe annuelle de la bande-dessinée. Les conférences, les expositions, les séances de dédicace, les prix. Les bandes-dessinées jeunesse, les grandes maisons d'édition, les maisons indépendantes, les auto-édités. Pleine d'entrain, la jeune Pétra débarque dans le chef-lieu de la Charente en pensant y rencontrer Raymond Bouloche, afin de lui montrer ses books et d'échanger avec lui sur le métier d'auteur de bande-dessinée. de cette rencontre entre l'ancienne et la nouvelle génération, Hervé Bourhis tire un astucieux fil qui lui permet, en utilisant un personnage un peu misérable et attachant, de tirer le portrait de sa propre profession. Rythmé et drôle, Bouloche n'est pas si innocent que cela, et tape aussi où cela fait mal, au point nodal où les grands principes rencontrent une certaine vanité.

Bouloche est aigri. Il a dépassé le zénith de sa carrière, et se dirige peu à peu vers son nadir. Tel l'astre qui décline, il demeure dans le ciel étoilé, mais sa lumière est de moins en moins vive, et d'autres naines prétendent devenir, bientôt, des géantes. Surtout, la bande-dessinée change. A côté des maisons d'édition massives qui éditent et vendent jusqu'à cinq mille titres par an, de petits éditeurs demeurent, et l'auto-édition est encore le moyen le plus sûr - mais certes pas le plus rentable - d'être lu un jour, ne serait-ce que par un seul lecteur. Ajoutez à cela les réseaux sociaux, les stories sur Instagram qui permettent à de tout jeunes auteurs - comme Pétra - de se faire connaître du grand public avant d'avoir publié quoique ce soit, en papier, évidemment. de l'aigreur naît l'acuité : ainsi ce Grand Tour du festival, offert par Bouloche à Pétra, délivre à la jeune auteure une vision désenchantée du métier, quasi désespérante pour celle que les expériences n'ont pas encore déçue. Loin, heureusement, de s'arrêter à cette description terrifiante du métier d'auteur de bande-dessinée, Pétra persiste, utilise les voies nouvelles qu'offrent les technologies modernes et internet et se hisse bientôt parmi les noms qui résonnent comme des promesses pour les éditeurs et pour les lecteurs. Stagiaire en première année du festival international de la bédé, auteur à succès en deuxième année, et motif de satisfaction : Pétra demeure fidèle à son vieux cicérone rabougri.

Il est à noter que l'acuité dont fait preuve Bouloche ne présume en rien de sa virginité morale. A bien des égards, Bouloche est un misérable. Littéralement, d'abord, puisque le métier, on le sait, paie peu ceux qui ne jouissent ni du soutien de lecteurs fanatiques, ni de la promotion en tête de gondole voulue par les éditeurs. Quoi de plus logique, alors, que Bouloche accepte le travail en collaboration que lui offre l'auteur célèbre pour une série tévé ? Mais, derrière le choix somme toute compréhensible de ne plus trembler à chaque fin de mois, se cache une misère morale que vient grossièrement maquiller l'orale affirmation de la pureté préservée. Cependant, la conduite de Bouloche n'est pas isolée, et que ce soit les auteurs derrière leurs stands au festival d'Angoulême ou ses deux comparses, Spiruline et Ganouche, beaucoup vont dans le sens du vent, des envies du public et de la nécessité matérielle. L'auteur(e) de bédé est donc un homme ou une femme comme les autres : il ou elle privilégie son intérêt personnel, tâche de survivre au mieux dans le microcosme où il ou elle est plongé(e). Il ou elle possède même des défauts très communs, mais point trop blâmables : l'auto-satisfaction, une vanité qui confine parfois au ridicule (ainsi Bouloche qui change de look), des élans de rudesse à l'encontre du lectorat (Bouloche qui refuse de faire un dessin à une enfant lors d'une séance de dédicace).

Tendrement sarcastique, Bouloche est porté par un rythme de narration soutenu. On devra ici remarquer l'effort apporté aux dialogues, rythmés par la rime, comme dans une pièce de théâtre ou une comédie musicale mise en mots et en images. Avec un dessin faussement gribouillé, qui laisse la part belle au mouvement et des fonds de case comme des collages photographiques qui permettent de repérer l'ironie sous-jacente du propos (on sourit lorsque l'on voit le stand des Dauphins tournevis, ou la devanture du magasin The Kupul), Hervé Bourhis porte le regard amusé de l'homme du métier sur sa profession et, donc, sur lui-même. Aucun des menus défauts n'échappent à son regard ni à son crayon, que ce soit la soudaine passion des dessinateurs pour les tablettes ou la part légèrement snob d'auteurs qui veulent à tout prix couper le neuvième art de ses racines populaires. Demeure toutefois cette bienveillance que nous devons à des auteur(e)s qui apportent qui la réflexion, qui le rêve, toujours l'entrain à leurs lecteurs. Et puis, le lecteur, probablement, ressemble sûrement un peu à ces auteurs ...
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