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Critique de berni_29


Il y a tout d'abord cette petite musique lancinante des mots jetés comme des gouttes de pluie saccadées sur l'asphalte. Les phrases de ce livre ressemblent à de la pluie, à cette pluie qui tombe dans la rue. On est vraiment surpris par cela aux premières pages de ce livre insolite qui s'intitule Mes amis.
Je ne connaissais pas son écrivain, Emmanuel Bove. Ce récit a été publié en 1924. Il se déroule dans le Paris d'après guerre, celle de la première guerre mondiale.
J'ai beaucoup de mal à vous décrire à quoi tient ce livre sur le plan de son intrigue. Et je suis même bien en peine de tenter de vous dérouler un fil qui aurait pu être tendu au lecteur dès les premières pages et qu'il suffirait de suivre pour parvenir à la dernière page. Ici il n'en est rien.
Dans ce livre, plusieurs récits ce suivent comme des nouvelles, avec le même personnage qui est le narrateur, un certain Victor Bâton. C'est un homme en quête d'amis. S'il faut trouver une intrigue, c'est celle-là. C'est un homme blessé durant la Grande Guerre, blessé par la vie, invalide, il lui manque désormais sa main gauche perdue sur le front ; pour cette raison il bénéficie désormais d'une maigre pension pour l'aider à vivre, ou survivre. Mais cela ne suffit pas. Il vit dans une chambre humide et froide sous les combles et se sent seul.
J'ai aimé cette lecture particulière, unique.
C'est une mélancolie à la fois douce et âpre, teintée du bruit de la ville auquel se mêle celui du cœur.
Le personnage, narrateur du récit, Victor Bâton, n'est pas forcément sympathique, pour tout dire il est agaçant, autant vous dire d'emblée que je n'en voudrais pas pour ami. C'est un comble pour quelqu'un qui cherche désespérément des amis.
Le texte ressemble parfois à un homme qui est là de l'autre côté de la rue, marchant à contre-courant du vent, une valise prolonge son bras tandis que de son autre main il tente maladroitement de retenir son chapeau. Notre narrateur l'interpelle alors, interpelle cet homme comme happé par sa silhouette chancelante. Il se dit peut-être qu'il lui ressemble, un futur ami pourquoi pas. N'est-ce pas le propre des amitiés ? Mais est-ce vraiment comme cela que les amitiés se forment ?
C'est la solitude des grandes villes et qui ressemble étrangement à nos vies d'aujourd'hui, la solitude urbaine.
Tristesse éperdue, où la rue est un horizon, une quête, où le narrateur se lève chaque matin, animé de ce désir ardent de sortir de chez lui et de chercher à rencontrer l'âme soeur.
Mes amis, ce sont précisément ceux que le narrateur n'a pas, ceux qu'il cherche désespérément.
Les mots sont parfois une grâce pour dire la difficulté de l'existence.
Le narrateur cherche à se faire des amis, cela en devient une obsession. Il y a alors des situations cocasses, parce qu'il s'y prend mal. C'est triste aussi, forcément. Cherchant l'amitié, tendant la main pour cela dans l'amour des choses simples, c'est souvent la pitié des autres qu'il reçoit, un peu comme on jette du pain aux oiseaux. Chaque détail est à la fois décalé et touchant.
Il y a le monde des « petites gens » et brusquement il y a le ciel par-dessus tout, le texte tente de voir plus haut, prendre de la distance, regarder au-dessus de nous où grouille la foule, ceux qui traversent les rues, se mélangent aux autres, ou bien ceux qui ne se mélangent jamais. C'est le ciel de ce livre.
Il y a du Cioran dans cette absurdité de l'existence, teintée de désespoir. Il y a du Beckett, peut-être du Céline aussi. Bardamu n'est jamais loin, il aurait pu devenir un ami de Victor Bâton, l'attendre sur une terrasse d'un café, avec des bocks de bière, disserter sur la guerre passée, la fatuité des hommes, l'Amérique qui pourrait venir, dans ce paysage triste.
Les mots d'Emmanuel Bove disent l'esthétique des jours ordinaires, l'absurdité de la condition humaine, au final c'est une poésie du banal. C'est beau.
Dans les mots d'Emmanuel Bove, il y a la lumière des rues. Des êtres se croisent, comprennent ensemble qu'ils ne sont pas du même monde. Le parfum des femmes que croise le narrateur sur le trottoir des grandes avenues est comme un vin enivrant et inaccessible.
Fait-il tout ce qu'il faut pour chercher un ami ?
Il y a des personnages secondaires qui tentent comme ils peuvent d'exister au travers d'instants de grâce, ou bien c'est peut-être le narrateur qui les attend à cet endroit, avec son impatience maladroite.
Il y a des femmes, des rencontres éphémères, des femmes qui lui posent souvent des lapins. Des femmes dans l'ombre de « ses amis »... C'est drôle et triste à la fois...
Parfois il y a de petits plaisirs qui viennent aussi , un peu comme ces gouttes de pluie sur l'asphalte et la lumière du ciel après la pluie. Dans ce récit, j'ai trouvé la pluie particulièrement belle.
Il y a la rue et la vie. Sommes-nous si loin de cette rue, de cette ambiance urbaine de 1919 ou même de 1924, année où fut écrit ce roman ? Je n'en suis pas sûr.
C'est un texte moderne, presque intemporel.
Rien ne me portait à découvrir ce livre improbable, sauf que je dois cette rencontre à mon amie Blandine, d'ici... Grand merci à toi, Blandine qui, dans ta chronique dédiée à ce récit, nous apprends que ce livre, Mes amis, figure sur la table de chevet de René Frégni, autre auteur touchant, dont nous partageons avec quelques amis les chemins merveilleux...
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