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Critique de Sofiert


Pour sa trente et unième oeuvre de fiction, T. C. Boyle enclenche un terrifiant compte à rebours avant l'apocalypse: la Californie s'enflamme, les inondations menacent la Floride. Autour d'une famille aisée et instruite, il observe les conséquences du réchauffement climatique sur le fonctionnement de ses membres et multiplie les catastrophes avec cet humour noir qui le définit si bien.

  "La planète se meurt, ne le vois-tu pas, M'man ?" accuse Cooper.
Cooper est le fils de Frank, médecin respecté, et Ottili son assistante à la retraite, et il vit sur la côte californienne, près de ses parents. Il est entomologiste et écologiste alarmiste, au point de convaincre sa mère d'adopter un mode de vie moins énergivore et de produire elle-même son alimentation en protéines " parce que son fils était entomologiste, parce qu'elle l'aimait et parce que c'était la chose à faire, Ottilie décida d'ajouter les insectes à son régime alimentaire." 
Convertie sans difficulté,  parce que "c'était excitant, comme tout nouveau projet, surtout quand il était aussi écologique et auto-redempteur", la mère de famille est pleine de bonnes intentions mais ne se remet pas profondément en question.

Ainsi vont les personnages de T. C Boyle : soumis à des tensions extrêmes, ils cherchent davantage à s'adapter qu'à corriger leurs erreurs ou à évaluer leurs schémas de pensée.
Mais si l'auteur pointe les défauts de ses personnages rivés à leur zone de confort, il parvient néanmoins à leur accorder cette touche d'humanité qui finit par les rendre sympathiques aux lecteurs.

Avec une touche d'ironie, il nous présente les efforts d'Ottilie pour préserver son image de mère nourricière et d'hôtesse exemplaire et nous régale de recettes de tacos aux larves de mezcal, de sauterelles frites et de beignets de grillons. Lors d'un repas entre amis, elle se réjouit qu'un seul convive ait été malade puisque c'est la satisfaction de sa famille qui lui importe plus que tout. On la voit ainsi dans de nombreuses circonstances tragiques agir en mère courageuse pour venir en aide à ses enfants.

Elle aura fort à faire avec sa fille Cat qui est présentée dès le début du roman comme une jeune femme écervelée et superficielle, prête à tout pour devenir influenceuse. Elle a déménagé en Floride, où elle vit avec son fiancé, Todd, ambassadeur du rhum Bacardi, dans une maison sur la plage héritée de la mère de Todd. le comportement de Cat est typique de celui de ces jeunes femmes égocentriques et obsédées par leur apparence. A la mort de sa belle mère, elle regrette égoïstement de devoir reporter son mariage mais se réjouit de la situation de la maison.

Par désoeuvrement, elle entre un jour dans une animalerie et achète un python en pensant qu'il lui servirait de faire-valoir pour sa carrière sur les réseaux sociaux. Satire malicieuse du consumérisme à tout prix, la description de l'achat interroge également sur les rapports de l'homme avec le vivant. "Elle opina du chef, alors qu'elle ne comprenait absolument rien à ce qu'il racontait. Il essayait de lui vendre un produit et elle allait l'acheter. Ils en étaient aux préliminaires."
Le choix d'un python comme animal de compagnie repose essentiellement sur sa fonction décorative, au même titre qu'un accessoire de mode.
" Celui-ci est joli, déclara-t-elle, désignant un autre serpent, fond sang séché et motif noir imbriqué comme un T-shirt de chez Anthropologie. Et celui-là aussi. Mais celui qui m'a vraiment tapé dans l'oeil, c'est celui de la vitrine. Il est trop grand, je le sais, mais en auriez-vous un pareil... Avec le même motif je veux dire... Mais de la taille de cet autre là... "
Avec un humour glaçant, l'auteur fera payer très cher à Cat son insouciance et son indifférence aux besoins d'un être vivant (âmes sensibles s'abstenir).

L'achat de ce serpent déclenchera également l'hostilité de son frère, Cooper toujours obsessionnel lorsqu'il s'agit de l'environnement. Lorsqu'il déclare que ces reptiles ont détruit la chaîne alimentaire des Everglades, anéantissant de nombreuses espèces de mammifères et mettant même les alligators en danger, Cat s'inquiète du nombre de likes qu'elle pourra récolter en publiant des selfies où elle apparaît drapée dans son magnifique python.

Contrairement à sa soeur, Cooper souffre d'éco-anxiété et se montre parfois arrogant lorsqu'il se pose comme défenseur de la planète et donne aux autres des leçons de vie. Ou qu'il impose à sa mère une ferme de vers à farine, un générateur à grillons ou une quantité de ruches.
Par ailleurs, en tant que scientifique, il est davantage dans une logique comptable que dans l'empathie jusqu'à la formidable scène finale où il emmène sa mère pour l'aider à recenser les papillons.
Sa proximité avec les insectes va cependant avoir de sinistres conséquences mais là encore, l'auteur choisit l'ironie en faisant dire à Mari, sa petite amie spécialiste des tiques, que "Cooper sort avec une acarologue et se retrouve à servir d'espèce hôtesse pour une tique."
De fait, la morsure de tique va s'infecter et conduire à l'amputation de son bras droit. Ce qui n'empêchera pas Cooper de recencer systématiquement tous les insectes présents dans le moindre buisson de manière obsessionnelle.

Alors que les personnages affrontent une succession d'épreuves individuelles, les effets du dérèglement climatique ont des répercussions collectives. Des vagues de chaleur insupportable et des incendies de forêt font rage en Californie tandis que des pluies persistantes font monter l'océan contre les pilotis de la maison de Cat en Floride et inondent les rues de la ville.

L'auteur nous offre ainsi ( terrifiant cadeau ) une succession de scènes hallucinantes et cauchemardesques, à peine tempérées par l'humour noir dont il fait preuve dans ses descriptions.
Pour l'exemple, le mariage de Cat avec Todd chez ses parents est perturbé par des vents violents qui font s'envoler les tentes de réception et toute la vaisselle. Réfugiés dans la maison, où l'électricité est coupée, les invités se retrouvent entassés dans le salon avec des assiettes en carton et un traiteur qui déclare forfait. Alors que la famille suppose que les choses ne peuvent pas empirer, un incendie se déclare sur la crête derrière la maison et tout le monde évacue en urgence.

Neuf mois plus tard, c'est en Floride qu'Ottilie devra affronter un ouragan et des routes inondées recouvertes de milliers de poissons-chats naufragés, les écrasant sous ses roues alors qu'elle vole au secours de sa fille qui va accoucher seule parce que l'ambulance est bloquée par les inondations.

T. C. Boyle est un prodigieux raconteur d'histoires muni d'une plume caustique qui met en lumière les failles et les contradictions de chacun d'entre nous confronté au défi du réchauffement climatique.
En choisissant le registre du thriller écologique plus que de la dystopie, il livre une satire tragi-comique et un roman que l'on devine terriblement prémonitoire tant les premiers signes sont déjà présents. Mais s'il fait la caricature d'une société américaine bien trop matérialiste et nous expose sa vision de l'avenir de notre planète, il salue malgré tout le pragmatisme de ceux qui, comme Ottilie, ont " foi en l'avenir".
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