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Critique de batlamb


Résumer Farenheit 451 à un monde où les pompiers sont devenus les agents d'une société totalitaire brûlant les livres serait vrai, mais très réducteur. Car Farenheit 451, c'est avant tout le monde d'un hédonisme débridé, finalement assez proche de celui de Huxley. On trouve ici des voitures roulant à des vitesses folles au mépris des risques d'accidents, des écrans omniprésents qui encouragent la consommation, et enfin des salons cloisonnés d'écrans où des amis virtuels (« la famille ») discutent de rien et vous encouragent à vous complaire dans ce vide avec eux aussi longtemps que possible, et pourquoi pas pour toujours. Ce dernier point montre que Bradbury avait admirablement anticipé les dérives des réseaux sociaux, 50 ans avant leur création. On retrouve certes, en filigrane, un aspect totalitaire plus orwellien incarné par les pompiers, et les ordres que les télécrans peuvent se permettre de donner occasionnellement aux citoyens abrutis, pantins soumis à leur volonté. Mais cela ne doit pas faire oublier que ce totalitarisme, c'est d'abord celui de la paresse, qui vous retient d'ouvrir un livre ou de sortir de chez vous, et vous amène à oublier votre propre existence.

Contre cet anéantissement de la conscience, Bradbury utilise son roman pour déclarer sa flamme à ce qu'il admire le plus dans les livres : la poésie. L'incipit à lui seul est un poème en prose, où le regard de Montag sur la flamme produite par sa lance de pompier le fait fusionner avec le brasier dans une symphonie endiablée allant crescendo, pour s'achever sur la satiété. « le plaisir d'incendier ! ». Avec le sourire "féroce" et "farouche" de Montag, qui rythme cet incipit, Bradbury nous fait sentir d'emblée que le plaisir du pompier est semblable à celui d'un animal. L'humanité s'est oubliée, à l'image de Montag et de sa femme Mildred. le vide se referme sur eux, et ils ne peuvent guère s'en apercevoir qu'à la nuit tombée, quand les lumières des écrans sont éteintes et que les pensées suicidaires surgissent. Ou quand une jeune fille demande à Montag s'il est heureux, et que la triste réponse affleure à la conscience du pompier.

Une critique récurrente sur ce roman est qu'il présente les livres comme la seule façon de retrouver une conscience de soi et du monde. C'est pourquoi vous me direz - à raison - qu'une telle démarche ne passe pas nécessairement par les livres. Et j'admettrai alors que, prise au pieds de la lettre, cette histoire expose une vision péremptoire de la suprématie des livres face aux autres médias (notamment les écrans). Ce ne serait pas surprenant de la part de Bradbury, qui était naturellement méfiant envers les nouvelles technologies, et même envers la science en général (sans doute le plus grand paradoxe chez cet auteur estampillé SF - certes abusivement). On pourrait dès lors l'accuser de confondre le médium et ce qu'il transmet, en sacralisant bêtement le livre. Mais ce serait, là encore, passer à côté du roman et de cette tirade prononcée par le personnage de Faber (l'écrivain clandestin), auquel Bradbury fait dire : « Les livres (…) n'ont absolument rien de magique. Il n'y a de magie que dans ce qu'ils disent, dans la façon dont ils cousent les pièces et les morceaux de l'univers pour nous en faire un vêtement ». Ce ne sont donc pas les livres qui comptent, mais la pensée abstraite. La métaphore. Un rythme singulier. Autant de façon de venir au monde, dont Bradbury use avec bonheur, et qui évoquent d'autres formes d'expression, comme la musique.

Une musique qu'on pourra espérer voir se propager sur les écrans, quand la civilisation de Farenheit 451 aura fini de les utiliser pour ses jeux lugubres.

A ce sujet, voici (dans ma traduction partielle, à partir d'une vieille vidéo visible sur son site internet officiel) ce que Bradbury dira au moment d'ouvrir ce site en 2001 : « Ca m'amuse d'être sur internet maintenant, car j'ai critiqué cette technologie. Mais je l'ai simplement fait en me demandant à quoi celle-ci allait servir, et si internet ne serait pas finalement qu'un jouet. (…) J'étais inquiet à la perspective de gens qui joueraient avec internet pendant que leur vie s'enfuirait. Non pas que je n'aime pas les jouets, j'en suis même entouré. Mais je ne passe pas tout mon temps avec eux. » Voilà ce qu'est Mildred dans Farenheit 451 : une femme qui est tellement occupée à jouer à chaque heure de la journée qu'elle n'arrive même plus à préserver l'enfant qui est en telle, tant elle est devenue stupide. Je pense que cette réflexion de Bradbury à la fin de sa vie prolonge de façon intéressante la vision exposée dans son roman.

PS : je déconseille la mauvaise adaptation de Truffaut, qui massacre copieusement la trame et les personnages, notamment celui du capitaine Beatty, le "méchant" du livre que je n'ai pas réussi à caser dans le reste de ma critique. (pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur son intelligence dévoyée par l'amertume de l'âge adulte... à vous de découvrir de quoi il retourne).
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