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Critique de Hunkydorus


Impossible de savoir quoi penser de cette petite dystopie, pot-pourri d'idées et de visions en tout genre, et pétrie par un style malheureusement tout aussi foutraque. J'ai eu en effet l'impression de constamment alterner entre un discours de vieux réac, et d'autres passages beaucoup plus visionnaires. Tout d'abord, les propos de Clarisse sonnent vraiment comme les paroles d'un vieux Républicain aigri : “Une époque où les enfants ne s'entretuaient pas. Ils croyaient à la responsabilité. […] Voyez-vous, je me sens responsable, j'ai reçu des fessées quand je le méritais autrefois.” Elle parle plus loin également de la disparition de l'art figuratif des musées pour les remplacer uniquement par de l'abstrait. A travers Clarisse, on a la ferme impression que Bradbury rejette toute forme de modernité. de la même manière, on croit d'abord que Bradbury conspue les médias autres que le livre. La radio, et la télé naissante à ce moment-là ne peuvent être source de savoir ou de débat selon ses personnages.

Et pourtant, plus loin dans l'histoire, le personnage de Faber affirme l'inverse : ”Les livres n'étaient qu'un des nombreux réceptacles destinés à conserver ce que nous avions peur d'oublier.” L'intervention du vieux Faber, faisant l'éloge du débat, du dialogue et de la connaissance, lors de sa première rencontre avec Montag m'a de fait un peu rassuré sur le message du livre que j'avais jusqu'ici du mal à bien discerner, et tranchait clairement avec les longues litanies aux arrière-goûts réactionnaires de Clarisse. Les propos sur la société de consommation et de divertissement sonnent également plutôt justes aujourd'hui et assez avant-gardistes pour l'époque.

Bien entendu, je n'oublie à aucun moment la date de publication du livre. Mais je trouve tout de même qu'à travers ses personnages Bradbury force clairement le trait en décrivant notamment une jeunesse ivre de violence gratuite (la bande de jeunes qui essaie d'écraser Montag pendant sa fuite, sans aucune raison apparente) et chérie un peu trop le passé (Montag qui apprend finalement des passages de la bible) au détriment d'un discours qui aurait gagné à être moins binaire, et plus ouvert.

De la même manière, le décorum délicieusement rétro-futuriste (les coquilles-écouteurs, les murs-écrans…) a pris son petit coup de vieux évidemment, et est relativement mal introduit dans le livre. J'ai mis un peu de temps à cerner ce concept de famille qui parle dans le salon, ou les appareils en forme de serpent mécanique qui sondent le corps de la femme de Montag au début du roman.

Ainsi, l'une des autres grosses réserves que j'ai sur Fahrenheit 451 est le style de Bradbury. L'écriture alterne constamment entre passages d'actions vifs, au vocabulaire simple et efficace, et entre métaphores plus ou moins maladroites, et effets de style un peu ratés. J'ai presque eu l'impression d'une écritures à 4 mains à certains moments. L'utilisation du champ lexical lié au feu (”Symphonie en feu majeur”) fonctionne plutôt bien, tandis que d'autres moments sont faits de phrases sans queue ni tête (”Frôlement d'un Sphinx tête-de-mort sur un écran noir et glacé”). La longue diatribe de Beatty envers les livres m'a franchement perdu à certains moments par son rythme saccadé, et son verbe un peu trop fleuri : “Organisez et organisez et super-organisez de super-super-sports. Plus d'images. Encore plus de dessins humoristiques. L'esprit absorbe de moins en moins. Impatience. etc…” Clairement, l'écriture ne fonctionne pas.

Enfin au-delà de tous les éléments évoqués précédemment, je me suis étonné de l'absence d'une dimension primordiale et connexe à la lecture : l'écriture. A aucun moment, dans le récit, on ne parle d'écrire, de témoigner des évènements d'aujourd'hui. On ne parle que de se souvenir, de retrouver les chefs d'oeuvres perdus, mais jamais de rendre compte de la situation actuelle, ou de créer à nouveau. C'est triste de ne regarder que vers le passé !

Et pourtant malgré ce long pavé à charge, j'ai du mal à juger trop sévèrement Fahrenheit 451. Car même avec toutes ses faiblesses et maladresses, il m'aura fait réfléchir, analyser, imaginer, agacer, fatiguer… Il aura créé tout un maelstrom d'émotions et d'idées que toutes les lectures ne suscitent pas. Et cette ultime pensée confirme d'une certaine manière le goût doux-amer que Fahrenheit 451 m'aura laissé : un livre qui, malgré son solide noyau d'idées passéistes et ses quelques rares aspects prophétiques, parvient tout de même à créer de la réflexion chez son lecteur. Et c'est déjà ça de pris.
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