Voyage chez les Yeux-Pâles

Bientôt, il n’y aura plus un seul bison dans les prairies de nos ancêtres. Mon père en chassait aux portes de Saint Louis, ce temps est loin. Nos ennemis les Kiowas disent : « Quand vous verrez disparaîtrez Wa-dau-ta Tan-ga de la surface de la Terre, alors vous saurez que la fin de l’Homme rouge est proche et que le soleil se. Où je pour lui. »

Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de « cornes noires ». Les Yeux-Pâles tuent Wa-dau-ta Tang-ga pour les peaux, pas pour manger. Nous, Wha-zha-zhi, avons besoin du bison. Pour la viande, pour la graisse, pour la peau qui fait des boucliers, pour les os qui font des couteaux. Pour faire les vêtements, pour les cordes, des arcs, pour faire le feu, pour couvrir le « tipi » pendant les campagnes de chasse.
-... pour faire les cheveux des poupées des petites filles, ajouta Soleil Sacré en dévoilant ses belles dents blanches.
[...]
- Avec son estomac, nos pères faisaient des chaudrons, avec ses sabots de la colle, avec sa queue des chasses- mouches. Il y a des hivers et des hivers, les « cornes noires » étaient nombreux comme les étoiles, comme les feuilles sur l’arbre. Quand ils faisaient trembler la terre avec leurs sabots, alors les guerriers allaient à la chasse, alors les femmes prenaient les couteaux à découper. Les Bouches-Poilues tuent les bisons avec leur bâtons- à -feu. Des centaines et des centaines. Et ils les laissaient pourrir dans l’herbe...

Wa-dau-ta Tan-ga, notre frère le bison, est comme l’Indien : puissant et sage.
Wah’ Kon-Tah dit qu’il faut traiter avec respect toutes les choses vivantes. Toutes. Les arbres, les chevaux, les lapins, les castors, les cerfs, les chevreuils, les ours. Les bisons aussi.

A quoi vous servent vos peintures sur le visage ? À vous préserver des moustiques qui doivent faire légion dans vos contrées ?
Paul Dubois traduisit. Petit Chef se raidit.
- Elles servent à dire qui nous sommes, à dire la paix, la guerre, à parler de nos mots. À faire peur à l’ennemi et aux ignorants.

... le vrai message des Yeux-Pâles : il y a de la place pour tout le monde, il suffit de se pousser, cessez de vous querellez, de vous entretuer, réconciliez-vous, cultivez la terre, adoptez nos coutumes, notre foi, habillez-vous comme des êtres civilisés, nous sommes vos amis, nous allons vivre côte à côte...

Dans leur tribu, la morale exigeait de l’homme qu’il protège la femme des insultes et des étranger.

Le « Grand- Père blanc », le roi des Français, l’égal de l’autre Grand-Père, chef des Américains: voilà ce que les Indiens répondaient inlassablement dans leur français hesitant - à peine quelques mots... - à ceux qui les questionnaient durant ce long voyage.

... ces longues semaines de navigation, de marcher droit sans ce remuement incessant de l’Océan, de courir sans se heurter à un bastingage ou un rouleau de cordages. De fouler le sol de ce royaume dont ils répétaient le nom comme un mantra - France, France ! -

« Ils n’y a rien de barbare et de sauvage dans cette nation [...], sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. »
- Michel de Montaigne (1533-1592)

« Les Indiens ont survécu à notre volonté de les anéantir et, depuis que le courant s’est inversé, ils ont même tenu en respect les bonnes intentions que nous leur manifestions car elles pouvaient s’avérer encore plus funestes. - John Steinbeck (America and Americans)