AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de oiseaulire


Ravissant album graphique qui communique l'enthousiasme de son auteure, Soledad Bravi (un si beau nom !) envers la peinture et la photographie.

Elle indique quelques clés simples de lecture des oeuvres, on peut les connaître ou non, peu importe, on découvre toujours quelque chose.

Son regard est frais et naïf, pourtant on sent que l'art n'est pas un continent nouveau pour elle, par le choix des oeuvres, par ce qu'elle en dit.

Son moindre mérite n'est pas d'initier les enfants à l'art de façon ludique, la seule qui vaille, en stimulant leurs talents d'observation et leur imaginaire.

Les livres d'art sont souvent accompagnés de discours trop savants, ou verbeux, conventionnels, tautologiques. Rien de tel ici : Soledad Bravo n'hésite pas à dire son ressenti, quitte risquer la contradiction. Elle prend des risques, et c'est très agréable, même et surtout si on n'est pas d'accord avec elle : cela réveille, on sent qu'on projetait sur le tableau, la photographie, une interprétation trop limitée, toujours la même, qu'on négligeait d'élargir par confort.
Par exemple elle voit dans la peinture d'Edouard Manet, "Le déjeuner sur l'herbe", une peinture féministe, du fait que le regard de la femme nue en premier plan fixe le spectateur avec arrogance et défi : signe qu'elle revendiquerait la liberté et la nudité, en quelque sorte la transgression.
Inutile de dire que je ne suis pas d'accord : ce raisonnement constitue un anachronisme car il utilise une grille de lecture qui n'est apparue qu'au vingtième siècle ; de surcroît le dix-neuvième siècle considérait celles qui s'adonnaient au libertinage et à la prostitution comme provoquant l'ordre établi, (alors qu'en fait elles le confortaient) : le regard provoquant de l'hétaïre n'est donc nullement transgressif, il ne fait que confirmer l'opinion qu'on avait dans le siècle de "ces femmes-là".

Pourtant, tout n'est pas faux dans l'analyse : et si le défi qu'on lit dans les yeux de la libertine (ou de la prostituée), n'était que le transfert opéré par le peintre lui-même sur ce personnage féminin sulfureux auquel il s'identifie le temps d'une peinture ? Edouard Manet ne se livre-t-il pas nu dans ce tableau, ne revendique-t-il la grande liberté de l'art face à une société pudibonde et conservatrice dont il se moque ouvertement ? Et ce regard ironique de premier plan n'est-il pas tout simplement le regard du peintre lui-même sur cette bourgeoisie dont il est issu, qui prête aux artistes une vie de débauche mais se presse dans les expositions pour voir leurs oeuvres ? Ne dit-il pas : "Vous qui vous prétendez scandalisés par ce que je suis, vous êtes là, à me faire allégeance " ?
Commenter  J’apprécie          70



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}