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Critique de Lulu_Off_The_Bridge


Pittsburgh, 1991. Depuis des années, le lycée catholique St. Mike est devenu un dépotoir à petits délinquants et cancres en tous genres, et une épine dans le pied du diocèse. Lorsque Davidek, Stein et Lorelei font leur entrée en 1re année, l'établissement oscille entre autoritarisme absurde et laxisme désabusé, élèves et éducateurs en roue libre. Comment survivre à cette année scolaire ? Comment, surtout, survivre à cette grande tradition de St. Mike qu'est le bizutage des nouveaux ? Les trois adolescents vont rapidement comprendre que ne pas faire de vague ne suffit pas et que pour résister aux brutes, il faut en devenir une.

Brutes repose sur un schéma classique a priori : trois petits nouveaux plongés dans l'enfer du lycée, trois petits rats de laboratoire moulinés, rabotés par un système qui a fait ses preuves en ne changeant surtout rien. La jolie et fragile Lorelei, ancienne tête de turc au collège, bien décidée à devenir une-fille-populaire. Noah Stein, le gamin balafré rapidement catalogué comme fauteur de troubles. Et Peter Davidek, le Candide de notre histoire, qui essaie de préserver quelque chose sans y perdre trop de plumes. Chacun dans son genre va apprendre – à ses dépens, si vous me permettez ce spoiler qui n'en est pas un, attendu que l'on s'en doute rapidement – que pour intégrer un groupe, il faut en comprendre les codes et que cela se fait toujours aux dépens de quelqu'un d'autre. Selon le pitch de l'auteur, « Fight Club rencontre The Breakfast Club ». Si on comprend vite que le roman joue sur tous les clichés du roman et du film pour ado, on se retrouve plutôt devant un croisement entre Mean Girls, Cruel Intentions et La Fureur de vivre. Avec un soupçon de Battle Royal pour faire bonne mesure. Les leçons que le genre veut enseigner (la valeur de l'amitié, la découverte de soi, etc.) sont ici piétinées, moquées, détournées pour offrir au lecteur une histoire sombre, parfois longuette, à l'humour bien noir.

Plonger des personnages dans un univers lambda ne suffit pas, il y faut un noeud gordien. Ce sera le thème, toujours estampillé « ado », du bizutage. le lycée St. Michael Archange est pourri en son coeur par une longue tradition de bizutage des premières années. Manipulations, mensonges, brutalité des actes et des paroles qui font table rase de toute la bonne volonté des petits nouveaux pour les transformer à leur tour en bourreaux. le corps enseignant, lui, voit cela d'un très bon oeil, parle de traditions et d'esprit de corps, sans jamais faire l'effort de comprendre la réalité de l'affaire.
De fait, l'établissement faillit complètement à sa mission. Plus que le monde des adolescents, dont on se sait qu'il est cruel, c'est un lieu commun, l'univers des adultes est effrayant. Parents, éducateurs, ils sont tous calamiteux, dangereux, incompétents, mesquins. le curé de la paroisse est un joueur impénitent qui rêve de voir le lycée péricliter, la conseillère d'orientation une hystérique qui ferait passer Carrie pour une enfant de choeur, et même la religieuse directrice de l'établissement ne comprend jamais que passer sous silence et fermer les yeux n'est pas une preuve de bonne volonté, juste de lâcheté. On ne peut même pas parler d'une dynamique « eux contre nous » car les deux sphères ne se rencontrent que pour constater qu'elles n'ont rien à se dire. Si le but de Brutes est de démontrer que le seul moyen de l'emporter contre les « bullies » est de devenir dix fois pire, il met surtout en lumière la solitude fondamentale de ses personnages qui ne peuvent chercher secours auprès de personne. On ne sort jamais de l'impression de catastrophe à échéance, symbolisée par le motif du pique-nique de fin d'année, pinacle de cette année de bizutage qui permet surtout à la violence de se transmettre à la génération suivante. C'est normal, paraît-il, formateur même.

Toujours cette question qui hante la littérature contemporaine : se remet-on jamais de son adolescence ? Et toujours la même réponse, « non », que chaque histoire tente d'enjoliver par tous les moyens, un peu comme une mariée laide. Non, on ne se « remet » pas de son adolescence, puisqu'elle déconstruit toujours un peu l'enfant qu'on a été. de fait, on oublie que le roman de formation est aussi – est toujours ? – roman de déformation. le roman d'Anthony Breznican se charge de rappeler ce paramètre.
Lien : http://www.luluoffthebridge...
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