Parfois, le jour où on touche notre RMI, on s'offre une ou deux nuits à l'hôtel, un établissement pas cher, porte de Montreuil. Nous arrivons le plus tôt possible, vers midi, pour en profiter jusqu'au lendemain matin. Nous y sommes bien reçus et nos chiennes ausssi. Une jeune femme souriante nous apporte les draps. Mon premier geste en entrant dans la chambre, c'est d'ouvrir la fenêtre en grand. J'ai besoin de savoir qu'il y a toujours quelque chose d'ouvert, une porte de sortie...
Moi, j'arrive devant elle la tête haute, parce que je n'ai pas à rougir d'être tombée à la rue. Je suis victime, pas coupable !
L'angoisse me donne la nausée.
C'est ma mère, en effet, et il faudra que je m'y fasse. Nous sommes en 1968. Ma vie de famille commence par une gifle, qui me brûle encore aujourd'hui. Ce fut la première, mais pas la dernière.
Le sang cogne sous ma peau. Je suis révoltée. La rue m'a au moins appris ça… Je bouillonne de voir les gens se plier à ce rituel sadique. Comment peuvent-ils encore prier, dans la galère où ils sont ? Je vois leurs lèvres bouger et je sais ce qu'ils pensent. Ils pensent à leurs pieds qui puent et à leur estomac qui gargouille. Ils pensent au froid dehors et à leur litron de vin. Ils ont la vessie pleine et le ventre vide. Comme moi, ils sont dégoûtés, atterrés, assommés par les problèmes. On veut bouffer, et nous voilà condamnés à prier, musulmans, athées et juifs compris ! Je maudis les sœurs : leur charité, c'est du racket, de l'extorsion de foi.
C'est ce jour-là que je me fâche avec Dieu.