Le Gracile, autrefois, avait été banni de la contrée pour avoir raconté des choses que les hommes ne voulaient pas entendre. Il savait mieux que tout autre qu'il fallait tourner les histoires d'une façon qui ne déplaisait pas.
Or un homme un jour, en brisant ces silences, causa sur la terre un grand trouble. Curieux de tout, volontiers espiègle, bavard impénitent, il aimait plus que tout autre vagabonder de campement en campement pour y discourir sans cesse. Il racontait des histoires en tournant ses phrases avec tant de talent qu'on ne voulait pas savoir si elles étaient vraiment vraies.
Presque tous les jours, le vent, la pluie et le soleil jouaient sur la terre les couleurs de la fin du monde et de sa naissance. Ces averses coureuses du grand ciel alimentaient de petits ruisseaux qui coulaient ici et là, nourrissant à leur tour quelques flaques où s’abreuvait la vie. L’eau claire des ruisseaux n’était jamais tranquille et l’eau tranquille des flaques n’était jamais claire. Ainsi, les hommes ne connaissaient pas l’inconvénient de se contempler eux-mêmes.