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Critique de fabienne2909


Derrière ce titre intriguant, « Les femmes n'ont pas d'histoire », se cache un roman âpre, d'une terrible violence. Mais il s'en dégage aussi un étrange charme, un peu envoûtant, qui en a fait pour moi une lecture (d'été) captivante.

En Virginie-Occidentale, région désolée de la Rust Belt américaine régie par la religion et le moonshine (whisky de contrebande), la vie de Wren se passe dans une certaine dureté entre son père Briar, une espèce de prédicateur dont le prêche religieux se fait en levant des serpents venimeux dans les bras, et sa mère Ruby, dont la vie tourne autour d'Ivy, son amie d'enfance. On comprend rapidement que le couple que Ruby forme avec Briar ne fonctionne plus très bien, notamment parce que celui-ci est enfermé dans sa foi, forgée après un accident réputé dû à la foudre qui lui a laissé un oeil blanc, le faisant être un mari et un père défaillant. Mais le jour où un accident terrible arrive à Ivy, c'est le début d'un enchaînement de catastrophes qui signera la fin de l'enfance de Wren, et qui lui apprendra — à la dure — que la vérité a toujours de multiples facettes…

Cette vérité à facettes vaut également pour le lecteur : le récit est partagé en plusieurs parties racontées par différents personnages qui donneront chacun leur version de l'histoire, venant éclairer celle de Wren, forcément partielle.
Pourquoi Briar a-t-il exilé sa femme puis sa fille loin dans les montagnes, les forçant à vivre à l'ancienne (troublante sensation quand on comprend que l'action se passe dans les années 2000 et non pas dans les années 1930 !) et obligeant Wren à étudier en cachette ? Pourquoi Ruby et Ivy, si avides de liberté plus jeunes, se sont laissées enfermer dans les montagnes de Virginie-Occidentale pour ne plus jamais en sortir ? Pourquoi les femmes sont-elles condamnées à être fille ou femme d'un homme, au point que leurs histoires personnelles voire même leur nom, sont oubliées ?

« Les hommes de la montagne pouvaient se soûler n'importe où […]. Mais s'ils voulaient un morceau de la montagne, tiré du sol sur lequel ils se tenaient et de l'eau qu'ils buvaient, un alcool de maïs blanc doux de Virginie-Occidentale, égrené et moulu à maturité par les mains d'un père aimant, avant d'être cuit jusqu'à ce qu'il né en reste que le plus robuste, alors il leur fallait le moonshine de Sherrod. C'est pour ça qu'ils le choisissaient : pour y trouver le goût de la vie qu'ils menaient. »
Si la religion et le moonshine, domaines jalousement masculins en Virginie-Occidentale, donnent un cadre (écrasant) à cette histoire, ce sont bien aux personnages féminins qu'Amy Jo Burns donne le premier rôle, pour contrer cette vie faite d'obligations et de contraintes que les hommes réservent aux femmes, dont Ruby : « Nous, les femmes, on est pas aussi libres que vous de faire ce qui nous chante. Pour vous autres, ça va tellement de soi que ça m'écoeure. Mais je peux pas dire que ça m'étonne. Toi et Briar, tous les deux, vous faites toujours exactement ce qui vous plaît, sans prendre qui que ce soit en considération. […] Tous les deux, vous pensez que je suis un bestiau qu'on marchande, parce qu'on vous apprend que le monde est à vous, que vous avez qu'à vous servir. Et que mon monde à moi, c'est de me faire prendre. »
Car malgré tout, qu'on ne s'y trompe pas, malgré son titre, « Les femmes n'ont pas d'histoire » est un roman aux accents féministes : si l'histoire ne se souvient pas d'elles, les légendes si, prouvant que malgré tout ce sont les femmes qui oeuvrent en sous-main, notamment pour que les choses changent peu à peu. Wren aura-t-elle le choix que sa mère Ruby et Ivy n'ont pas eu, celui de mener sa vie comme elle le veut ?

« Les femmes n'ont pas d'histoire » est un premier roman impressionnant de maîtrise, notamment dans sa structure qui vient éclairer peu à peu l'histoire de Ruby, d'Ivy et de Briar. Une histoire pleine de croyances, de fatalité, de désespoir et d'amertume, seuls sentiments qui restent quand la foi est partie. Les mots sont secs et durs comme cette terre montagnarde arrosée de soleil et de foi, seules richesses qu'elle possède, mais parfois aussi doux et remplis de poésie que le moonshine que les hommes produisent à partir de son maïs et de son eau. Liquide qui semble avoir le pouvoir de rendre fou ou de remplir d'amour.
La lecture de ce roman n'est pas des plus simples, par les thématiques traitées que par la construction adoptée par l'auteur, qui révèle ses vérités au fur et à mesure. Mais il constitue un roman saisissant, et fait partie de ces lectures que l'on n'oublie pas.
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