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Critique de Presence


Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre ne nécessitant pas de connaissance préalable du personnage. Il s'agit d'un récit paru initialement en 1994, sans prépublication, écrit par Chuck Dixon, dessiné et encré par John Buscema, avec une mise en couleurs réalisée par Christie Scheele. La couverture a été réalisée par Bob Larkin.

Le vingt-trois décembre 1910, dans une région désertique du Nouveau Mexique, trois nervis contemplent un individu torse nu, attaché à une roue massive de chariot. L'homme se concentre pour graver dans sa mémoire le visage de ces trois brigands, de manière indélébile : s'il survit à cette épreuve, il les tuera. Il se concentre également pour ne pas penser au cadavre de son fils et de sa fille, pour ne pas entendre les hurlements de Maria, son épouse qui lui parviennent de leur maison. Finalement, les cris cessent et un quatrième individu sort de la demeure : il n'y a rien trouvé de valeur. Il a dû tuer la femme parce qu'elle l'avait mordu. Il n'a trouvé qu'un petit coffret avec des bonbons : il en prend un car c'est un bec sucré. Un des hommes demande ce qu'il convient de faire avec le fermier entravé. L'homme au chapeau à large bord le regarde : Frank ne parvient pas à voir les traits de son visage, mais il constate qu'il porte un pendentif en forme de crucifix autour de son cou, celui de Maria. Dans un dernier acte de cruauté, le chef décide de laisser Frank mourir à petit feu sous le soleil, les vautours ne tarderont pas à venir arracher sa chair. Les quatre pillards s'en vont.

Sous le soleil implacable, Frank est pris d'une rage froide : il a une raison de vivre. Il doit venger les siens. Au prix d'un effort colossal, il parvient à se mettre debout, en portant tout le poids de la lourde roue sur son dos. Il se trouve à une journée de cheval de la ferme la plus proche. Il estime que la haine devrait pouvoir lui permettre de parcourir vingt miles. le poids de la roue veut le pousser inexorablement vers le sol. La chaleur l'écrase. le soleil l'aveugle. Il entend comme des vagues s'écraser autour de lui. Il sait bien que c'est le son du sang échauffé dans ses oreilles. Il sait que s'il tombe, il mourra. Malgré sa volonté implacable, il finit par s'écouler au sol. Aux alentours, il y a vingt miles de sable, de vent et de désert. Il ne saura jamais quelle distance il est parvenu à parcourir. Il n'a aucune idée du temps qu'il a passé ainsi évanoui à terre. Il a éprouvé la sensation que les hurlements du vent se sont transformés en chant d'ange. Pourtant, il reprend conscience, allongé à l'abri, avec la sensation de l'eau dans sa bouche. Il a été repéré par un prêtre itinérant accompagné de deux soeurs, se rendant à la mission de San Carlos. Il n'en revient pas d'être vivant. le père lui propose de les accompagner quand la tempête se sera calmée. Frank lui demande s'il pourrait lui céder un cheval. Il remarque des peintures rupestres, en particulier un homme ceint d'un linge blanc comme page, avec une tête de mort.

Voilà un comics qui génère un attrait difficilement répressible. Une version du Punisher façon Western, par un scénariste connu pour son efficacité sans fioriture, réalisant un récit sur mesure pour un artiste légendaire de Marvel, lui permettant de dessiner autre chose que des superhéros. le lecteur n'entretient pas grand doute sur l'intrigue, car Punisher est un personnage basique : un individu dont la seule raison d'être est d'abattre des criminels nuisibles. Donc : sa famille va succomber dans un règlement de compte par armes à feu, entre deux familles ou deux clans du crime organisé, et il va décider de se venger. Avec cet a priori en tête, le lecteur est un peu surpris par le début : ben non, les enfants et l'épouse de Frank sont juste tués par un gang de quatre pistoleros, pas de gangs rivaux lancés dans une guerre. du coup : une simple histoire de vengeance. le grand méchant n'aurait pas dû hésiter à tuer Frank de sang-froid, parce que celui-ci a survécu (sans surprise) et il accomplira sa vengeance jusqu'au bout (sans surprise). Grâce à sa force, sa volonté inflexible (et un coup de chance quand même), il va remonter leur trace en 45 pages montre en main. L'artiste a le champ libre pour dessiner ce qui lui plaît.

John Buscema (1927-2002) a commencé sa carrière professionnelle en 1948 : en 1994, il en a donc déjà bien entamé sa cinquième décennie de comics. En 1966, il recommence à dessiner des comics, en intégrant l'éditeur Marvel Comics, prenant progressivement la succession de Jack Kirby sur de nombreuses séries, participant à parfaire le style graphique Marvel, avec John Romita senior. En outre, il s'encre lui-même dans ce récit. C'est donc une occasion de découvrir le travail de ce vétéran pour les lecteurs récents, ou de retrouver un artiste qui a participé à façonner la Maison des Idées. L'artiste semble réellement impliqué dans ce projet. Il représente très régulièrement les décors dans les arrière-plans, et il ne donne pas l'impression de s'auto-plagier. Frank est un grand costaud une force de la nature, avec une ossature et une musculature impressionnantes. Son visage exprime une rage contenue, ne demandant qu'à s'exprimer lors des explosions de violence. le reste du temps, il arbore un visage fermé avec un regard froid, désabusé. Ses ennemis valent également le déplacement : pas tout à fait des caricatures, mais une représentation peu flatteuse des mexicains et des vachers itinérants. À chaque case, le lecteur peut voir l'expérience de l'artiste que ce soit pour dessiner des vêtements d'époque, des armes à feu, des chevaux, ou encore des constructions de ranch ou de ville de petite importance.

Bien sûr, en voyant Frank porter sa roue (et non sa croix), le lecteur pense à des postures similaires de Conan portant une lourde charge, l'artiste ayant dessiné ce personnage de 1973 à 1987, avec un retour dans les années 1990. S'il est familier de l'oeuvre de John Buscema, le lecteur retrouve plusieurs postures dont il est familier, mais sans bâclage, sans basculer dans des automatismes insipides. À une ou deux reprises, il peut voir resurgir l'influence de Jack Kirby dans une posture, et même celle inattendue de John Romita junior. La narration visuelle est impeccable, transmettant cette sensation de goût de poussière dans la bouche, d'individus endurcis par une vie sans beaucoup de confort, et rude. de temps à autre, une mise en scène semble un peu facile : un tir de balles nourri dont aucune n'atteint Frank, un train coincé sur une voie ferroviaire suspendue sur un pont en bois très élevé. Dans ces cas-là, le lecteur peut sortir un instant de l'histoire, la plausibilité de ce qui est décrit peinant à convaincre. En 1994, la couleur par infographie est encore à un stade basique, et régulièrement, le lecteur se retrouve à se dire que les dessins auraient été beaucoup plus faciles à apprécier si la coloriste s'en était tenue à des aplats de couleurs uniformes, plutôt que d'essayer de donner une apparence moderne (pour l'époque) avec des dégradés pas très heureux.

D'un côté, le lecteur se délecte de ces pages soignées par John Buscema prenant le temps de les peaufiner. D'un autre côté, si son investissement émotionnel pour cet artiste n'est pas très élevé, il éprouve parfois des difficultés à se sentir impliqué par certaines séquences ou certaines cases s'apparentant à du western spaghetti allégé. Certes, certains hommes de main ont une mine patibulaire, mais ils restent encore assez propre sur eux. Certes, certaines expressions de visage mettent à nu une veulerie repoussante, mais comme si les acteurs surjouaient un peu, faute de parvenir à être vraiment naturels, sans non plus être vraiment dans le grotesque de certains westerns spaghetti. de la même manière, le scénario est bien ficelé, mais sans beaucoup de surprises. Certains moments laissent le lecteur franchement songeur. La première séquence se déroule sous un soleil de plomb, avec un ciel sans nuage ce que montrent bien les images. Pourtant Frank ne parvient pas à distinguer les traits du violeur de son épouse, juste parce qu'il porte un chapeau à large bord alors leurs visages ne sont séparés que de trente centimètres. Frank adopte le motif du crâne sur son tricot de corps, juste après avoir une peinture rupestre. le lecteur ne sait pas trop pourquoi il décide d'affubler ses vêtements de ce motif, ni comment il le dessine dessus. Pour une raison incompréhensible, Frank laisse s'écouler une année entre la première mise à mort dans sa vengeance et la seconde, sans donner l'impression de se démener pour trouver une piste. Avant de pouvoir mener à bien sa vengeance dans son intégralité, il abat des voleurs de bétail pour le compte de son employeur, sans beaucoup d'état d'âme. Mais une fois sa vengeance menée à son terme, il décide de devenir un nettoyeur à plein temps ne s'en prenant qu'à des criminels endurcis, un revirement très étrange ne permettant pas de comprendre cette absence de constance dans son comportement.

Une histoire de Punisher sauce western à tendance spaghetti, avec un scénariste à la narration sèche, et un vétéran des comics : très alléchant. À la lecture, le résultat oscille entre des cases enthousiasmantes, et un récit adulte édulcoré au point d'en devenir trop souvent inoffensif. L'appréciation du lecteur dépend beaucoup de son degré d'admiration pour John Buscema et de la valeur qu'il accorde à ce témoignage soigné de son activité professionnelle durant la cinquième décennie de sa carrière.
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