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Critique de JustAWord


Après un premier volume déstabilisant à plus d'un titre, que nous réserve l'américaine Octavia Butler pour la suite de la trilogie Xenogenesis ?
Pour le savoir, rendez-vous sur Terre cette fois en compagnie des survivants de la race humaine et des hybrides issus des manipulations génétiques des Oankalis dans L'Initiation. Légèrement plus épais que son prédécesseur mais toujours traduit par l'excellente Jessica Shapiro, ce second tome envisage l'avenir sous un jour encore nouveau en déplaçant le point de vue de Lilith à son fils, Akin. Un nouveau tour de force ?

Une vie, deux mondes
Dans L'Aube, Octavia Butler imaginait un futur où l'humanité avait fini par s'autodétruire. Sauvée in extremis par une étrange (et en apparence répugnante) race extraterrestre, les survivants n'avaient eu d'autre choix que d'accepter la domination Oankali en échange d'une hybridation totale.
Pour mener à bien les négociations et permettre une adaptation en douceur à leur nouvel environnement et à leurs nouveaux bienfaiteurs, les Oankalis avaient décidé de laisser faire Lilith, l'une des survivantes humaines. Malgré une résistance farouche, elle avait fini par convaincre une partie de ses compagnons à accepter la proposition des extraterrestres. L'heure de la re-colonisation de la Terre a sonné.
Des années plus tard, la situation s'est encore compliquée entre les humains qui vivent en harmonie avec les Oankalis entourés d'enfants façonnés par ces derniers et les « opposants » humains qui ont choisi de ne pas rejoindre cette nouvelle société et se retrouvent stérilisés de force et laissés à leur sort au milieu des dangers de cette Terre nouvelle.
Partant du principe que l'espèce humaine est vouée à l'autodestruction si on la laisse en l'état, les Oankalis n'ont en effet permis qu'à ceux qui s'hybrident avec eux de pouvoir jouir d'une descendance.
Akin naît ainsi d'une mère humaine, Lilith, mais également de parents Oankalis, comme le veut la tradition. C'est après l'arrivée de Tino, un humain non modifié, dans le village de Lo qu'Akin devient curieux.
Enlevé par un groupe de pilleurs, il va alors faire la connaissance de ces fameux opposants et être témoin à la fois de leur violence mais aussi de leur désespoir. Même s'il n'est âgé que de moins de deux ans, Akin parle déjà avec la fluence d'un adulte et se souvient de tout, absolument tout.
Comment va-t-il réagir face à ceux qui incarnent la moitié de ce qu'il est ? Comment peut-il réconcilier ces deux camps que tout semble opposer ?
Et surtout… Comment va-t-il survivre au milieu de gens qui peinent à comprendre la complexité de la situation ?
L'Initiation prolonge et approfondit la réflexion sur les rapports dominants/dominés mais aussi sur le corps, le genre et la constitution de sociétés différentes. Pour ne pas tomber dans la redites, Octavia Butler a l'idée simple, mais brillante, de passer le flambeau narratif à Akin, un hybride/métis, qui a donc un point de vue différent et certainement encore plus nuancé que sa mère, Lilith, purement humaine. Ainsi, le lecteur va comprendre les deux camps de l'intérieur en tentant de discerner ce qui les rassemble et non ce qui les oppose. C'est aussi, et surtout, une histoire d'incompréhension et d'incommunicabilité que n'aurait pas renié un certain Adrian Tchaikovsky.

Décider de son sort
L'Initiation, même s'il débute du côté Oankali et va même jusqu'à faire un détour dans un de leurs vaisseaux en orbite, se passe majoritairement auprès des « opposants », ces humains dominés qui ont refusé la lente digestion imposée par la race Oankali pour leur propre bien.
Une question centrale, et très épineuse, est donc celle d'une bienveillance qui se transforme en condamnation à mort… sans même que les Oankalis n'arrivent à s'en rendre compte.
Ils n'ont tout simplement pas les outils pour le comprendre.
Octavia Butler n'aime pas les choses simples, elle réfute le manichéisme et arrive à susciter toujours d'avantage d'ambiguïtés dans le rapport du lecteur aux Oankalis mais aussi aux humains. Ces derniers apparaissant à la fois comme des êtres violents et souvent révoltants, mais… c'est aussi ce qui fait leur humanité, leur faculté à choisir de faire le bien ou le mal, à se sortir de leurs travers et à s'élever en tant que race.
C'est le droit au fond à l'autodétermination.
De quel droit une race plus avancée et qui se dit moralement plus juste doit-elle imposer par la force ou la bienveillance ses valeurs à l'autre ?
Tout le paradoxe s'incarne en Akin, ce jeune homme destiné à se métamorphoser en Oankali à son adolescence et qui peut comprendre d'une façon unique les uns et les autres puisqu'il est des deux bords à la fois. Akin va donc cheminer dans sa compréhension et se rendre à l'évidence : toute tentative de faire le bien pour un peuple en décidant pour lui n'est qu'une ignominie qui ne dit pas son nom.

L'incroyable beauté de l'autre
Encore une fois, Octavia Butler a beau être épatante par la profondeur et la qualité de sa réflexion sociale et philosophique, elle n'en reste pas moins passionnante quand elle décrit avec minutie les rouages de la société Oankali, avec leur cellule familiale polyamoureuse, leurs croyances forcenées en l'hybridation génétique, leur façon de parvenir à des consensus, ou encore leurs vaisseaux vivants qui poussent sur Terre et essaiment dans les étoiles. C'est souvent bluffant et toujours surprenant.
La race Oankali est complexe, divisée en plusieurs castes et genres, et, surtout, elle n'est dominante que par le truchement des circonstances, piégée par sa propre nature en quelque sorte.
Toute la beauté de ce second volume tient à la capacité d'Octavia Butler à incarner des personnages emplis de nuances, souvent ni bons ni mauvais, mais le fruit d'influences extérieures et environnementales, résultant de leur histoire personnelle et collective.
C'est sa capacité à montrer le mal dans le bien et le bien dans le mal qui transforme L'Initiation en un récit encore plus passionnant que son prédécesseur, proposant des thématiques d'une modernité sidérante sur le genre, la famille, la communication, la tolérance ou encore la violence.
Le roman a beau afficher très fièrement sa nature science-fictif, il démontre aussi et surtout que la science-fiction est un outil extraordinaire pour analyser notre temps et nos préoccupations à travers des filtres narratifs constamment surprenants et pertinents !
Pour tout dire, on ressort de cette nouvelle aventure avec l'impression d'avoir lu un chef d'oeuvre complet qui transcende le genre.
Oui, un tour de force.

Encore meilleur que son illustre prédécesseur, L'Initiation confirme qu'Octavia Butler est une géniale autrice de science-fiction qui parvient à saisir comme nulle autre les nuances de la société complexe qui l'entoure.
Complètement géniale, on vous le dit (et le répète).
Lien : https://justaword.fr/linitia..
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