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11 janvier 2012
L'expérience des camps hante le monde moderne. Les espaces concentrationnaires sont souvent présentés sans genèse ou en rupture totale avec les espaces quotidiens du pouvoir.

Le livre de Pilar Calveiro interroge, au contraire, l'inscription de cette réalité, des disparitions et des exécutions de masses dans le passé/présent de l'Argentine.

L'univers concentrationnaire est défini par l'auteure comme une « institution totale, comme un mécanisme de déshumanisation des victimes et des bourreaux, comme un dispositif bureaucratisé dans lequel, sans que leur responsabilité soit remise en cause, les répresseurs sont aussi des hommes ordinaires »

La critique de la dictature et l'analyse des pratiques concentrationnaires et exterminatoires ne conduit pas l'auteure à masquer ses analyses des orientations de la guérilla de l'Ejército revolucionario del pueblo (ERP, en français Armée révolutionnaire du peuple), ou des Montoneros (guérilla péroniste d'extrême gauche), le déphasage d'avec la société, la « militarisation du volet politique » et « la proéminence accordée aux structures internes aux détriment de la stratégie politique » qui feront des militant-e-s de ces puissants mouvements de luttes les victimes premières de la dictature militaire.

340 camps en Argentine entre le coup d'Etat de 1976 et 1982, probablement plus 20.000 personnes enfermées, la très grande majorité y ont été assassinées.

Pilar Calveiro décrit l'ensemble de la chaine des intervenants : les patotas (groupes opérationnels chargés d'enlever les subversifs, les unités de renseignement, les gardiens et les liquidateurs. Son analyse du pouvoir militaire est celle d'une structure bureaucratique répressive et non un appareil de guerre.

L'auteure traite longuement de la torture, de son rôle dans la dissémination de la terreur parmi les détenu-e-s en soulignant que le « régime de la terreur est tout à fait différent de celui de la peur. » Elle montre aussi la place de la solidarité comme « clé de survie ».

A juste titre et contre tous les tenants de la nécessaire violence d'Etat, elle nous rappelle la portée de la division entre victimes « Parler de victime innocente, comme si elle était plus victime que la victime militante, par exemple, n'est qu'une façon de renforcer l'idée que, effectivement, on ne doit pas résister au pouvoir. »

Le nombre de victimes, « réduites » en regard des camps nazis durant la seconde guerre mondiale, n'infirme nullement l'absence de parenté entre les pratiques séparées de moins d'un demi-siècle. Les camps sont irréductibles les uns aux autres. Il est cependant important d'insister sur les constantes identifiées du système concentrationnaire et des exterminations ici et là : utilisation de l'appareil d'État et de bandes armées, cohérence dans la dépossession de l'autre de toute humanité.

Les camps de concentration, volonté et pratique de dépolitisation de la société, ne sont pas « une aberration créée par des esprits dérangés » mais une « initiative institutionnelle ». Ils ne sont ni clos dans un espace insondable, ni des cadres monolithiques. Leur « espace animé par des fissures et des résistances » doit encore et toujours être pensé et réexaminé sous l'angle des antagonismes sociaux pour donner sens.

Le passé n'est jamais totalement passé : « L'analyse du camp de concentration en tant qu'instrument répressif peut nous fournir une clé pour comprendre les particularités d'un pouvoir qui a imprégné tout le tissu social et qui ne peut pas avoir disparu. Si le pouvoir s'est leurré en pensant pouvoir faire disparaître les éléments perturbateurs, il est tout aussi illusoire pour la société civile de vouloir croire que ce pouvoir de disparition puisse disparaître, par quelque coup de baguette magique. »

OUI, les camps sont ”humains” et donc reproductibles.

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