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Critique de JustAWord


Éditeur de génie et rédacteur en chef du magazine science-fictif culte Astounding Stories jusqu'en 1971, l'américain John W. Campbell est aussi un écrivain à l'importance majeure. On lui doit, entre autres, la novella Who Goes There ? publiée en 1938 aux États-Unis et traduite en 1955 dans l'Hexagone sous le titre La Bête d'un autre monde — certainement d'ailleurs pour coller au plus près de la première adaptation du texte sur grand écran, The Thing from another world/La Chose d'un autre monde des cinéastes Christian Niby et Howard Hawks.
L'importance de cette novella illustre à la fois le génie littéraire et éditorial de son auteur mais aussi la portée toute neuve d'un média aujourd'hui incontournable, le cinéma. Il semble donc impossible de nous pencher sur le texte de John W. Campbell sans le comparer/lier à ses alter-ego filmiques et notamment La Chose d'un autre monde (1951) et The Thing de John Carpenter (1982) qui dénote de deux interprétations d'un même texte et deux abords d'une même problématique science-fictive. Concernant le préquel de 2011, la démarche n'est pas la même puisqu'il s'agit très clairement de combler les trous scénaristiques de la version de 1982 tout en réactualisant les effets spéciaux pour un public moderne échaudé par l'animatronic.

« Ça puait, là-dedans. »
Voilà les mots qui amorce l'un des récits de science-fiction les plus influents du siècle passé, d'Alien à Life en passant par les multiples hommages littéraires (comme Les Choses d'un certain Peter Watts ou The Thing Itself d'Adam Roberts).
C'est donc avec des sensations purement humaines que s'ouvre ce récit perdu dans une base américaine au plus profond de l'Antarctique. John W. Campbell choisit le lieu le plus inhospitalier à la fois pour s'offrir la possibilité d'y perdre un U.F.O dans la glace mais aussi pour isoler ses personnages dans un huit-clos qui a autant peur de l'intérieur… que de l'extérieur !
Dans le récit de l'américain, la découverte de la créature nous est rapportée, l'expédition n'est pas vécue en direct (contrairement à ce qu'il se passe dans les films de Hawks et de van Heijningen Jr.). Bien plus nombreux que dans les adaptations filmiques, les personnages sont le plus souvent caractérisés par un trait physique marquant (la carrure et le teint de MacReady, Norris et sa taille relativement modeste…) ou par une occupation/un poste spécifique (la fonction de cuisinier de Kinner, le titre de docteur de Copper…). Ainsi, chacun arrive à tenir sa place et malgré la multiplicité des intervenants, le lecteur ne se perd pas entre temps… d'autant plus qu'une variable va vite venir s'ajouter à tout ça : la Chose.
En effet, l'équipe a découvert quelque part dans l'immensité glacée une créature de cauchemar piégée dans la glace et qu'ils ramènent avec eux pour étude.
Dès le départ, John W. Campbell pose le dilemme principal de sa novella : la nature humaine contre la science moderne. Ou, en quelque sorte, le sens commun contre la réalité scientifique. En effet, le premier conflit qui oppose les scientifiques et membres de l'équipe américaine n'est guère un conflit entre espèces mais un imbroglio autour de la conduite à tenir. D'un côté, Blair qui désire étudier la Chose sans attendre et de l'autre Norris, qui désire maintenir le principe de précaution face à l'inconnu (et à la peur d'une contamination infectieuse).

L'Horreur libérée
Ainsi, deux argumentaires se côtoient : celui du rationnel scientifique avec des considérations sur l'effet du froid sur des organismes plus ou moins développés ainsi que des réflexions sur les possibilités qu'un agent étranger puisse contaminer une espèce qui n'est pas du tout semblable à elle… et celui de l'irrationnel, de l'humain, du sentiment où le faciès de l'alien, particulièrement terrifiant, appuie sur le contingent reptilien des hommes en présence pour leur filer la trouille. Cette Chose là ne doit pas être réveillée, elle fait tout simplement trop peur à voir. Biais de perception ou authentique intuition biologique, John W. Campbell tranche rapidement lorsque le xénomorphe se fait la malle et qu'il tente d'infecter les chiens du chenil. S'ensuit un affrontement épique (que l'on retrouve de façon complètement différente dans les films d'Hawks et de Carpenter) où les huskies luttent pour leur survie tandis que les humains, stupéfaits, achèvent une créature déjà en pleine transformation.
Et quelle transformation… puisqu'elle imite à la perfection ce qu'elle rencontre !
Dès lors, la station isolée au milieu de nul part devient un piège pour les êtres humains qui y ont trouvé refuge. Si la paranoïa s'invite de façon insidieuse et roublarde dans le récit (et John Carpenter en fera son maître-mot dans The Thing là où Howard Hawks l'oubliera totalement en cours de route), c'est un autre développement qui surprend le lecteur : celui de la réflexion et de la démarche scientifique.
De façon surprenante, l'auteur américain n'abuse pas du sentiment horrifique généré par la capacité surnaturelle de la créature mais l'utilise avant tout pour réfléchir sur la façon de la débusquer en employant d'abord la science et, notamment, les connaissances en biologie et en immunologie vulgarisées ici de façon ludique et remarquablement intelligente. La création de sérologies pour traquer l'intrus ainsi que les longues explications sur le pourquoi du comment suffisent pour classer définitivement La Chose dans le genre de la science-fiction au sens le plus pur du terme. Toutefois, comme ce fut déjà le cas lors du débat sur l'analyse ou non de la créature, John W. Campbell n'oublie pas les sentiments humains et ce qui sépare l'homme de cette chose extra-terrestre. Sa réflexion passe à la fois par la ferveur religieuse, la folie et la pensée… pour finir par s'échouer sur une terre nettement moins reluisante pour le genre humain : l'agressivité naturelle de l'homme et sa capacité à survivre malgré tout.

La survie du plus fort
Cet aspect belliqueux fait écho à l'adaptation remarquable de la créature venue d'ailleurs et réactive l'une des peurs les plus anciennes de l'homme : celle de se faire absorber par un autre organisme et de perdre ainsi son identité biologique.
Comme un pied de nez à la décision initiale d'étudier la créature, mais aussi pour réconcilier science et intuition naturelle, l'auteur américain imagine un dernier test, le test du sang chauffé à blanc (que l'on retrouve trait pour trait dans l'adaptation de Carpenter jusqu'à réutiliser l'une des répliques de MacReady mot pour mot) qui combine à la fois un constat scientifique (le sang est un tissu/organisme comme les autres) et une intuition humaine (la créature veut survire et elle se défendra violemment contre toute agression).
Cette opposition entre science et intuition naturelle ne se retrouve quasiment jamais dans le long-métrage de Carpenter qui préfère insister sur la dimension horrifique et paranoïaque là où le film de Niby et Hawks zappait totalement cet aspect pour, justement, mettre en avant la rivalité entre science et sens commun. Deux approches d'un même texte et deux façons de l'illustrer donc.
Remarquons d'ailleurs que la version de 2011 s'appuie sur un ressort intuitif pour remplacer le test sanguin avec la recherche de plombages et autres corps métalliques non reproductibles par la Chose.
Enfin, mentionnons évidemment l'aspect huit-clos du texte qui joue également la carte de la dichotomie narrative. John W. Campbell ne se contente pas ici d'un huit-clos où l'on a peur de l'intérieur (et donc de l'autre qui n'est pas humain au sein même de la base) mais d'un huit clos qui doit absolument le rester sous peine d'étendre la contamination à l'ensemble de la planète. La peur, ici, ne vient pas simplement du fait de se retrouver enfermer avec une bestiole inhumaine dans une même pièce mais bel et bien de laisser s'enfuir la créature vers le reste de l'humanité. C'est donc un huit clos schizophrène où les personnages ont à la fois peur de ce qui les accompagne à l'intérieur et de ce qui pourrait s'enfuir à l'extérieur. Un aspect fort bien mis en valeur par John Carpenter dès l'introduction de son long-métrage et qui ira crescendo tout du long.

La Chose illustre à merveille cette science-fiction qui sait jongler entre l'humain et la science, entre la peur et le rationnel, entre l'extérieur et l'intérieur. Récit remarquable à la précision narrative tranchante comme une lame de rasoir, la novella de John W. Campbell avait tout pour devenir un texte culte. Trois films plus tard et de nombreuses adaptations comics/jeux-vidéos et littéraires plus tard, voici une réédition qui confirme amplement… ce statut de classique incontournable.

Lien : https://justaword.fr/la-chos..
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