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Critique de HADJIAN


Quelles sont les frontières de l'extrême-droite ? le Front national est-il fasciste ? Existe-t-il un populisme de gauche ? Les partis au pouvoir en Hongrie et en Pologne sont-ils d'extrême-droite ? Ces questions brûlantes sont d'une grande actualité ; or elles ne sont abordées que de biais et de manière incomplète dans l'ouvrage.
Pourtant, on ne peut qu'admirer l'érudition des auteurs qui montrent leur parfaite connaissance des ramifications des groupuscules d'extrême droite et du cheminement de leurs idées. Ils dressent un parfait récit des scissions, changements de sigles, réunifications, nouvelles scissions, des groupuscules d'extrême-droite (récit qui n'est pas sans rappeler, dans l'autre camp, les scissions, changements de sigles, réunifications… des différentes variétés de trotskisme). Mais cette précision généalogique ne permet pas toujours de se faire une idée du poids politique de groupes, voire d'individus, qui pour certains semblent ne représenter qu'eux-mêmes. On a parfois l'impression que les groupuscules engendrent des groupuscules, les idées engendrent des idées sans égard pour l'évolution de la vie sociale et politique.
L'ouvrage aurait sans doute gagné à s'appeler Histoire des extrêmes-droites en Europe, car trop souvent, l'histoire l'emporte sur l'analyse politique.
Dans de nombreux pays, comme la France, les Pays-Bas, l'Autriche, des partis d'extrême-droite se sont approchés du pouvoir ces dernières années, même s'ils n'y ont pas accédé. Comment analyser ce phénomène ? Quelle est la nature de ces mouvements ? Comment les caractériser ? Peut-on les relier aux mouvements fascistes et néofascistes.
La nature du Front National
Le FN a réussi à fédérer les divers courants de l'extrême-droite, il présente donc plusieurs visages (traditionnaliste et révolutionnaire, néo-païen et intégriste catholique, libéral et dirigiste…). S'appuyant sur la définition de Gentile, les auteurs considèrent que le FN ne peut pas être qualifié de fasciste : ce n'est pas un parti de masse, ce n'est pas un parti-milice, il n'utilise pas la terreur pour arriver au pouvoir, il ne prône pas l'homme nouveau et la subordination totale de l'individu à l'Etat (p. 57-58). Mais le FN arbore une « esthétique » qui le rapproche du fascisme : état de guerre contre toutes les forces politiques, projet de régénération de la société etc.
Comment, dès lors, le qualifier ? Les dénominations sont nombreuses dans l'ouvrage, mais jamais strictement définies : national-populiste, néopopuliste, ethnolibéral, souverainiste intégral…
La diversité des extrêmes droites
En filigrane, les auteurs distinguent des partis installés dans le champ électoral (comme le FN, le FPÖ autrichien ou le PVV néerlandais) et ce qu'ils appellent (sans en délimiter les contours) « l'extrême-droite radicale » qui aurait davantage recours à la violence et pourrait se rattacher au fascisme d'avant 1939. Mais c'est surtout dans la comparaison des variétés de l'extrême-droite en Europe que les auteurs montrent leur grande connaissance du sujet.
Quatre modèles peuvent être isolés : le PVV cultive l'hostilité à l'islam en la justifiant par la défense des droits individuels (femmes, gays) ; Aube dorée en Grèce affiche son racisme et répond à la définition du parti-milice propre au fascisme ; enfin le FN met l'accent sur le souverainisme et affiche un antilibéralisme économique. Un quatrième modèle est constitué par les extrêmes droites de l'Est, elles cultivent le nationalisme ethnique (au détriment des minorités juive, rom, mais aussi turque en Bulgarie), affichent souvent leur antisémitisme (en particulier en Russie).
L'extrême-droite est elle au pouvoir ?
Certains partis se sont intégrés au jeu des coalitions parlementaires et on ainsi accédé au pouvoir, c'est le cas du MSI ex-néofasciste, devenu Alliance nationale, en Italie, ou du FPÖ autrichien. L'expérience historique tend à montrer que ces passages ont été plutôt défavorables à ces partis qui ont perdu en « radicalité ». Nos auteurs soulignent d'ailleurs que ces expériences sont l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire, selon le FN.
Cependant, le plan adopté dans l'ouvrage, qui est structuré sur la généalogie des partis d'extrême-droite (du 19e siècle jusqu'au partis néonazis et néofascistes après 1945), empêche de traiter de la nature des partis au pouvoir en Hongrie et en Pologne, qui relèvent d'une autre filiation mais qui mettent en oeuvre des programmes autoritaires et anti-migrants. Les auteurs consacrent quelques pages au parti de Viktor Orbán en Hongrie, qualifié d'extrême droite institutionnalisée (p. 268), et quelques lignes au parti des Kaczyński, en Pologne, qualifié de « droite conservatrice radicalisée » (p. 283), ce qui ne nous éclaire guère… Alors même que des partis comme le MSI ont pu sortir du néofascisme, on pourrait se demander si des partis de droite traditionnelle ne peuvent pas rejoindre l'extrême-droite, ce qui montre, une nouvelle fois, que nos auteurs ne parviennent qu'imparfaitement à fixer les frontières de l'extrême-droite. En revanche, ils excellent à présenter toutes les variétés de néonazis ou encore de national-bolcheviks, qui nous apparaissent quelque peu folkloriques, en tout cas en dehors de la Russie.
Pourquoi la montée de l'extrême droite ?
Dans ce vaste kaléidoscope, comment distinguer des lignes de force ? Il faut peut-être se référer au tournant du 11 septembre. Camus et Lebourg soulignent une évolution de l'extrême-droite, qui voit le musulman remplacer le marxiste et le juif, comme ennemi principal. Mais cette fixation sur l'islam peut coexister avec l'antisémitisme, l'antiaméricanisme et la dénonciation du mondialisme. Cependant l'hostilité à l'islam tend à devenir un dénominateur commun des extrêmes droites, y compris dans le cas de la Hongrie d'Orbán, pour qui les migrants musulmans menacent les valeurs chrétiennes.
En conclusion
Après avoir terminé l'ouvrage, on en sait beaucoup plus sur les divers groupes que l'on peut ranger dans l'extrême-droite : des skinheads aux nazis-ésotériques, en passant par les suprémacistes blancs ou les tenants de la révolution conservatrice.
En revanche, on n'en sait pas beaucoup plus sur la nature politique, sociologique et intellectuelle des partis dits d'extrême-droite ou populistes qui progressent, de manière spectaculaire, dans toute l'Europe.
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