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Critique de berni_29


L'Étranger d'Albert Camus est un petit chef d’œuvre ramassé sur une histoire très courte, chronique du récit presque ordinaire d'un homme confronté à un fait divers qui va l'amener à commettre un meurtre et le conduire à l'échafaud. Cela paraît simple à première vue, mais l'Étranger, c'est bien plus que cela...
Ce livre m'a plutôt résisté à la première lecture, bien que l'écriture soit aisément accessible. Non, je n'ai pas compris ce que l'auteur voulait nous dire. Quel en était le message ? Considérant Albert Camus comme un grand philosophe, je me suis dit qu'il y avait certainement un message subliminal caché quelque part entre les mots. Puis deux autres expériences m'ont amené à considérer ce texte d'une autre manière et à trouver les portes pour y entrer. Tout d'abord, ma fille préparant son bac de français il y a deux ans, avait ce livre sur sa liste des ouvrages à étudier. J'ai sauté sur l'occasion inespérée pour faire d'une pierre deux coups : aider ma fille à son oral de français et en ce qui me concernait, comprendre mieux ce texte. Entre temps, je m'étais procuré le livre audio en CD, version lue par Albert Camus lui-même, que je vous recommande, et ce texte qui se dépliait sous la voix de son auteur, me paraissait peu à peu plus accessible. Et j'ai alors compris le sens de ce titre, à tout le moins bien étrange, dont je n'avais pas compris jusqu'alors toute la portée...
Donc, le coupable, Meursault, c'est-à-dire le narrateur, est connu d'avance. Point donc de suspense. Ce récit écrit à la première personne, d'apparence froide et qui ressemble de très près à celui du Dernier jour d'un condamné de Victor Hugo, nous permet d'avancer dans les pas du narrateur jusqu'à sa fin inéluctable. Mais au fond, de quoi Meursault est-il donc coupable ?
Le livre commence par cette phrase presque devenue mythique : "Aujourd'hui maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas". On dirait presque une phrase proustienne, du genre : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure ». Cette introduction peut surprendre, tout le monde se rappelle en général la date du décès de sa mère, surtout si l'événement est proche.
L'étrange surprend, étonne... et c'est donc propice pour un philosophe à poser son regard. De l'étrange à l'étranger, il n'y a qu'un pas qu'Albert Camus franchit allégrement. Si ce récit nous perturbe à bien des égards, au-delà de la narration à la première personne qui est volontairement déstabilisante je le reconnais, c'est qu'il prône l'absurde.
Revenons aux faits, car il y en a plusieurs dans ce récit pourtant concis.
Meursault tout d'abord se rend à l'enterrement de sa mère, à l'hospice où elle résidait. Tout se passe de manière ordinaire, hormis ce regard sur lui d'une communauté de personnes âgées qui semble, tout au long de la cérémonie, l'observer d'un regard presque inquisiteur, comme s'il était étranger à eux. C'est un regard lourd, qui ne dit rien, sans doute faits de reproches parce que le narrateur apparaît comme quelqu'un qui ne s'est pas beaucoup préoccupé du sort de sa mère sur les derniers temps de son existence et qu'aux obsèques de celle-ci, il semble ne ressentir aucun chagrin. Voyons ! Tout fils qui se respecte doit pleurer à l'enterrement de sa mère ! Sous la forme d'un descriptif anodin, ce témoignage sera repris à charge pour dénoncer son indifférence présupposée à l'égard de la situation.
Mais de quoi donc Meursault est-il donc coupable ? En effet, au retour chez lui, il rencontre Marie au bord de la mer où il est venu se baigner, passent la journée et la soirée ensemble, font l'amour. Tout de même ! Coucher avec la première venue le lendemain où l'on enterre sa mère... ! Marie tombe amoureuse de Meursault, mais celui-ci ne semble rien ressentir pour la jeune femme. Quelques jours plus tard, il retrouve des amis dans un cabanon au bord de la plage. C'est un moment convivial, ils boivent beaucoup. C'est alors que, sur la plage brûlante de soleil, Meursault tue froidement un arabe avec lequel quelques instants plus tôt le groupe d'amis avait eu quelques démêlées. Cela pourrait être un banal fait divers. Mais voilà, Meursault le tue de plusieurs coups de révolver. Comme souvent dans l'oeuvre de Camus, le soleil est au rendez-vous, je dirai même que c'est un personnage à part entière. C'est un soleil noir et brûlant qui accompagne le geste de Meursault, ébloui par le reflet de ce soleil sur la lame du couteau que présente l'arabe. le soleil semble être ici une sorte de complice qui a pu porter, accompagner le geste fatal de Meursault.
Attention, mon propos, bien sûr, n'est pas de minimiser le meurtre horrible accompli par Meursault. Cependant, tout homme coupable, de quelque crime que ce soit, a droit de bénéficier d'une défense irréprochable basée sur des éléments factuels. le problème est qu'il est jugé sur d'autres choses qui n'ont rien à voir à voir avec son crime... Car, au fond, la mort de l'arabe, au cours du procès, on ne s'en préoccupe guère.
Le récit raconte de l'intérieur les affects d'un homme qui semble étranger à tout... Étranger à son environnement, à ses proches, étranger sur la terre, étrangers aux hommes, étranger à lui-même...
Ce qui dérange dans ce récit, mais qui en fait aussi sa force, c'est la narration. Nous sommes dans les pas du narrateur, nous sommes dans ses affects. C'est une sorte d'indifférence, mais elle n'est pas vraie, c'est une indifférence apparente, mais elle va coûter cher à la vie du narrateur. Il y a des émotions cachées par pudeur. Et il me semble que Meursault éprouve des sentiments. J'en ai trouvé plusieurs au fil du livre et je pense que c'est par timidité ou par pudeur qu'il les retient.
Pourtant, la force du livre est que le narrateur n'a pas l'air de ressentir grand-chose ; alors le lecteur que nous sommes est presque amené à le juger, à lui faire son procès, comme la foule qui, elle aussi, le juge et le conduira à l'échafaud.
Quelque part, la force du propos de l'écrivain est de nous entraîner au plus près de son récit, non pas pour être en empathie avec le narrateur, quoique, mais pour comprendre l'absurde de la situation. Et brusquement, nous nous réveillons avec l'étonnement qu'il faut : que faisons-nous au milieu de cette foule béate et béante ?
Alors, sommes-nous aussi l'Étranger ?
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