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Critique de Nastie92


Relire les classiques a du bon.
Parce qu'avec la maturité, on les voit d'un oeil différent, on y découvre autre chose.
On les apprécie davantage.
Du moins, je les apprécie davantage.
Je gardais un souvenir assez précis de L'étranger, lu lorsque j'étais au lycée.
Adolescente, je n'avais pas aimé Meursault, pour qui j'avais éprouvé la plus vive antipathie, me disant même qu'il avait bien mérité ce qui lui arrivait.
Bon sang, il n'avait qu'à parler, révéler ses pensées, exprimer ses sentiments, ce n'était pourtant pas compliqué, non ? S'il avait été condamné, il n'avait à s'en prendre qu'à lui-même.
À la relecture, mes petites certitudes ont volé en éclat.
Je ne peux pas dire que j'ai aimé Meursault, je n'irai pas jusque-là (peut-être l'aimerai-je après une seconde relecture dans trente ans ?), mais cette fois, je l'ai compris.
J'ai compris qu'il n'exprimait rien, tout simplement parce qu'il n'était pas capable de ressentir quoi que ce soit : ce n'était pas de la mauvaise volonté, c'était sa constitution, il était fait comme ça.
Tout comme certains sont grands, petits, bruns ou blonds, Meursault est insensible, un handicapé du sentiment.
Du coup, sans le vouloir, il choque.
Il choque parce qu'il ne manifeste pas ce qu'il devrait ressentir dans telle ou telle circonstance.
Il choque parce qu'il ne dit pas ce qu'il faudrait dire.
Il choque parce que son attitude ne correspond pas aux critères sociaux communément admis.
Mais de tout cela, il ne se rend pas compte.
Et même, s'il s'en rendait compte, je parie qu'il ne changerait pas d'attitude, parce qu'il n'en verrait pas l'utilité, parce qu'il n'en comprendrait pas la nécessité.
Meursault est donc étranger. Étranger à la vie en société et à ses normes, étranger à ce et ceux qui l'entourent, étranger au monde, et finalement, étranger à lui-même.
Ayant compris cela, au lieu de le blâmer comme autrefois, je l'ai plaint.
J'ai éprouvé de la compassion pour cet homme tellement inadapté à une société pétrie de conventions sociales.
Et je salue l'immense talent de Camus !
Fabriquer un tel personnage a dû être un exercice terrible.
S'appliquer à ôter toute trace d'émotion, toute ébauche de sentiment, tout embryon de geste ou de pensée qui pourraient trahir un ressenti : exercice parfaitement réussi, car Meursault est totalement déshumanisé, parfaitement froid, d'une froideur qui contraste terriblement avec la chaleur omniprésente dans le récit.
Cette chaleur qui est presque un personnage du livre.
Elle joue un grand rôle, elle écrase tout et tous.
On ne cesse de transpirer, d'être accablé, d'avoir du mal à respirer : elle donne une lourdeur et une pesanteur constantes tout au long de l'histoire.
Plus jeune, je n'avais pas apprécié à sa juste valeur le style de Camus dans ce roman. Il est pourtant extraordinaire.
Il paraît très simple, mais ne l'est pas. Cette simplicité n'est qu'apparente, c'est tout l'art de l'écrivain. Ce dépouillement, certainement fruit d'un grand travail, donne plus de force au récit que ne le ferait un style plus recherché, il est cohérent avec l'histoire et avec le personnage de Meursault.
Meursault indifférent à tout, y compris à son procès auquel il assiste comme s'il était extérieur.
Meursault jugé par tous, dès le début du roman par les pensionnaires et le personnel de l'asile lors de la veillée funèbre ; Meursault jugé finalement par la justice.
Mais a-t-il été jugé sur les bons critères ? Objectivement ? A-t-il été jugé pour ce qu'il a fait ou pour ce qu'il est ? Je pense que c'est la principale question que Camus pose à ses lecteurs.
Un court roman au style minimaliste qui m'a apporté un plaisir de lecture maximal.
Si Meursault ne ressent pas d'émotions, cette relecture m'en a donné à foison.
Vive la littérature !
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