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Critique de afriqueah


« Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort » a commenté Camus, pour qui l'amour de sa mère qui l'a élevé seule à Alger est si important.
Tellement important qu'il affirme à des étudiants suédois, après avoir été pris à parti par un membre du FLN, que « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. »
Cette phrase, sortie de son contexte, a fait scandale, or elle fait suite à :
« J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément, dans les rues d'Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. “
Et pourtant, dans l'Etranger, Camus présente Meursault, dont la première inoubliable phrase est «  Aujourd'hui, Maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas ».

Simplement, il ne se sent pas concerné plus que ça par son deuil, ni par la marche du monde, ni par le fait d'avoir tué un Arabe qui ne lui a rien fait : il ne fait pas vraiment partie de l'univers, qui lui-même n'a pas beaucoup de sens. La confrontation entre ce qui lui advient et lui-même le laisse dubitatif, de même qu'il ne sait pas s'il aime Marie ou pas (c'est quoi l'amour ?)
Rester ici ou partir, cela revient au même.
Si le monde est absurde, Meursault possède le sens du bien et du mal : il avoue à son patron que si sa mère est morte, ce n'est pas sa faute, phrase qu'il voudrait répéter à son amie Marie.
Il est le témoin proche de la relation sado-amoureuse que le vieux Salamano entretient avec son chien, se laissant trainer, puis le trainant, l'insultant, le frappant, lui interdisant de pisser, le frappant encore quand la pauvre bête pisse dans la chambre… et pleurant désemparé lorsque le chien s'enfuit.
Ce n'est pas un hasard si Camus s'étend si longuement sur ce mélange de haine et de besoin de l'autre, homme et chien étant liés depuis huit ans. Terrifiante ressemblance et chagrin fou de l'homme rempli de fiel, qui font que Meursault repense à sa mère.
Puisque l'on sait qu'il sera condamné à avoir la tête tranchée non pas pour le meurtre, mais parce qu'il n'a pas pleuré le jour de l'enterrement de sa mère, ce que Camus semble nous présenter, c'est bien l'absurdité du monde et la condamnation de la peine de mort.
Il le fait avec un style télégraphique, neutre, de même que c'est le télégramme de l'asile qui lui apprend la mauvaise nouvelle. Camus se livre au lyrisme uniquement devant la nature,  l'océan de métal bouillant qui assomme, le ciel vert, le soleil qui lui donne une ivresse opaque et aussi « une épée de lumière » qui l'aveugle : « La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front… Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive étincelant jailli du couteau. »
Non seulement le monde est absurde, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, il n'y a aucune chance, il n'y a pas d'issue, répète l'auteur, mais, de plus, chercher à donner un sens, comme le fait le procureur chrétien qui se frappe la poitrine en demandant absurdement au condamné, puisqu'il ne croit pas en Dieu : « Voulez-vous que ma vie n'ait pas de sens ? »
Question qui n'a aucun sens.  

La religion ne sert à rien, et les efforts du prêtre dont il a refusé la visite plusieurs fois, mais qui s'incruste avant l'exécution, font (enfin !) réveiller la colère chez cet étranger de lui-même, ou en termes modernes, cet homme totalement dépourvu d'ego. Colère et rage, un peu comme ce que vivait le vieux Salamano, qui n'accepte pas la mort de sa femme. Agacement à l'idée d'imaginer une « autre vie » pour compenser, devant ce mort vivant qui croit en Dieu et prétend endoctriner. « Je déversais sur lui tout le fond de mon coeur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. Il avait l'air si certain, n'est-ce-pas ? Pourtant, aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme. Il n'était même pas sûr d'être en vie puisqu'il vivait comme un mort. Moi, j'avais l'air d'avoir les mains vides. Mais j'étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait venir ».
Espérer une vie éternelle aurait-elle donné un sens à la vie de l'étranger ? Non, sûrement non.
Refuser les consolations, voila le seul destin, puisque nous sommes tous des condamnés à mort.

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