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Critique de Zebra


Zebra
10 septembre 2012
Après avoir terminé la lecture de ce livre, je n'ai tout d'abord pas su comment l'interpréter. J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait d'un hymne à la vie sauvage, dans la mesure où le lecteur est, après un début un peu lent, plongé au coeur de la forêt amazonienne, avec sa sauvagerie mais aussi ses curiosités remarquables, puis les choses sont devenues progressivement plus claires dans mon esprit.

Le titre original de l'ouvrage est « Los pasos perdidos » ce qui signifie « les pas perdus », expression que j'interprète à la fois comme « la perte du passage » (l'auteur ne parviendra en effet pas, à bord de sa pirogue, à retrouver « la porte », c'est à dire le passage qui lui permettrait de rejoindre sa compagne, la belle Rosario) mais aussi comme « le temps perdu » (l'auteur, pétri de civilisation occidentale, se rend compte que, depuis des années, il vit en mode « décalé » par rapport à la réalité et au sublime qui lui sont offerts par la forêt primitive).

Dans un style fouillé, constellé de références littéraires, musicales et historiques, Alejo Carpentier, nous fait toucher du doigt ce qui est pour lui une bien triste évidence : la réalité de la vie occidentale est sale, décevante, terrifiante et incompréhensible, alors même qu'il existe à portée de mains un monde beau et vrai, primordial, sans artifices. Ce monde mythique ne nous est accessible qu'au prix d'épreuves : les chapitres du récit sont l'occasion de voir passer notre héros (l'auteur) d'événements en événements jusqu'à une ultime tentative de renaissance en un homme nouveau, pur et vrai. Mais cette tentative ne sera pas couronnée de succès et, tel Sisyphe, notre héros (l'auteur) devra recommencer depuis le début et redoubler d'efforts : mais ce sera peine perdue, et Alejo Carpentier nous montre que l'homme occidental est victime d'une forme supérieure d'aliénation.

Dans ce livre, le voyage n'est qu'un prétexte : les épreuves constituent une étape obligatoire dans ce processus de renaissance. La forêt amazonienne est la matrice originelle d'où la vie est issue : pour renaître, encore faut-il s'oublier au coeur de cet espace sauvage où le temps perd de sa linéarité (que sont le passé, le présent et le futur dans la moiteur et l'éternité de la forêt primitive ?) et gagne en épaisseur (l'air n'est-il pas chargé de poussières, d'insectes et d'odeurs ?). le personnage principal est anonyme : il n'est en effet nul besoin de donner un nom à cet homme qui est en recherche de la vérité, de la beauté et de lui-même, car derrière cet homme c'est en fait chacun d'entre nous qui se cache. La musique joue un rôle important dans ce livre : l'auteur, comme notre héros, est musicologue, et il resitue l'évolution musicale (de l'origine du son brut aux richesses de la musique contemporaine) dans son contexte et dans sa dimension universelle, s'agissant de traduire au final des émotions intemporelles : joie, peur, désir, mort … Or, s'agissant de provoquer des émotions, la forêt primitive n'est pas en reste ! Elle est même capable de toutes les prouesses, quitte à recourir à la magie : d'ailleurs, notre musicologue n'hésite pas à entreprendre la composition d'un thrène pour faire en sorte que ressuscite enfin l'homme primordial et qu'il soit comme Adam et Eve avant le pêché, au pays du réel merveilleux, au « pays de l'Immuable » comparable au Quatrième jour de la Genèse.

D'aucuns trouveront peut-être le style d'Alejo Carpentier un peu mou, mais, dans la chaleur et l'humidité constante de la forêt amazonienne, pouvait-il utiliser un style dur, incisif et rapide ? En guise de conclusion, voici un livre qui oppose la vie de l'homme urbain et la vie de l'homme véritable : la vie du premier est caractérisée par des artifices (la ville est un simulacre où chacun agit, comme Ruth, actrice, derrière un masque), la routine désespérante , la solitude, l'errance, la violence, la perte de sens (que d'autodafés au début du 20ème siècle) et l'emprisonnement, quand celle de l'homme véritable, nettoyé de ses oripeaux, est caractérisée par la pureté de la forêt primitive, un monde beau et vrai, primordial, sans artifices. Une utopie ? Certes. Mais ne nous faut-il pas rêver de temps en temps ?
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