AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastie92


9 janvier 1993.
Le docteur Jean-Claude Romand est retrouvé inconscient dans sa maison en flammes. Les pompiers qui le sauvent découvrent les corps sans vie de sa femme et de ses deux jeunes enfants. Un peu plus tard, on retrouve ses parents, assassinés dans leur pavillon.
Que s'est-il passé ? Comment Jean-Claude Romand s'est-il retrouvé le seul survivant d'un tel carnage ?

Tous ceux qui étaient en âge de comprendre doivent se souvenir comme moi de "l'affaire Romand" : elle a défrayé la chronique, personne n'a pu y échapper.
Je me rappelle ma stupeur lorsque j'ai appris toutes ces morts.
Mais je me rappelle surtout l'effroi que j'ai ressenti à la terrible annonce : Jean-Claude Romand est l'assassin !
Il a tué ses parents, sa femme et ses enfants.
Mais ce n'est pas tout.
Le mobile de la tuerie laisse sans voix : Jean-Claude Romand n'était pas celui qu'il prétendait être, et c'est parce que le mensonge qu'était sa vie allait être découvert qu'il a tué tous les siens, ne supportant pas l'idée d'être mis à nu devant eux.

Alors, que s'est-il vraiment passé ?
Le docteur Romand n'existe pas : Jean-Claude Romand a abandonné ses études de médecine en deuxième année. À partir de là, tout est faux. Pendant près de vingt ans, il s'invente une vie.
Il fait semblant de poursuivre et terminer ses études, de se faire embaucher à l'OMS à Genève. Il a des amis, se marie, a deux enfants et mène une vie en apparence normale.
Mais l'envers du décor est creux : il n'y a rien dans la vie de Jean-Claude Romand. Il part "au travail" le matin, en revient le soir, mais passe en réalité ses journées dans sa voiture sur des parkings, attendant l'heure de rentrer.

Cette histoire est effroyable, mais elle est également, au sens propre, incroyable. D'un film avec un tel scénario, on aurait dit que ce n'était pas crédible.
Qu'un homme ne peux pas vivre tant d'années ainsi.
Que son entourage ne peut pas ne s'être rendu compte de rien.
Que lui-même ne peut pas avoir supporté cette solitude et ce poids sur ses épaules pendant si longtemps.
Et pourtant, là, tout est vrai.

Effroyable, et à la fois fascinant.
Devant ce drame, Emmanuel Carrère est comme nous tous sidéré, profondément choqué. Il éprouve le besoin de comprendre comment tout a pu se produire.
Comment un homme a pu, durant tant d'années, vivre une fausse vie sans que personne ne soupçonne quoi que ce soit.
Comment il a enduré la pression constante, la crainte permanente d'être découvert.
Alors Emmanuel Carrère a écrit un livre.
Un livre d'un genre particulier. L'auteur a dit lors d'une interview : "L'Adversaire n'est pas un roman, c'est une non-fiction novel. L'agencement, la construction, l'écriture font appel aux techniques romanesques mais ce n'est pas une fiction. Mon enjeu c'est la fidélité au réel."
Il a également précisé : "Mon écriture tend au dépouillement. Les phrases doivent être conductrices d'électricité. Plus elles sont simples, plus le courant passe."

Avec une écriture simple en apparence mais redoutablement efficace, L'Adversaire amène le lecteur a comprendre de l'intérieur cette tragédie.
Nous suivons Jean-Claude Romand dans son engrenage infernal, sa famille, ses amis. Sans aucun voyeurisme, mais avec la mise en évidence de tous les enjeux humains.
Emmanuel Carrère démonte le mécanisme et montre comment un simple examen raté, qui aurait pu être repassé en septembre, a fait basculer toute une vie, en entraînant d'autres avec elle.
Comment un homme a tué ceux qui comptaient le plus pour lui, parce qu'il pensait qu'apprendre la vérité leur serait intolérable.

Une lecture forte, un livre qui secoue et fait réfléchir.
Commenter  J’apprécie          619



Ont apprécié cette critique (59)voir plus




{* *}