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Critique de Mimimelie


Sociologue et enseignant-chercheur à Télécom ParisTech et à l'EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris) Antonio Casilli, pour l'avoir écouté sur France Culture où il est souvent invité, m'apparaît être l'un des observateurs les plus affûtés des mutations qui s'annoncent du fait des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il s'intéresse en particulier au «digital labor» et a déjà écrit sur ce sujet en 2015, en collaboration avec Dominique Cardon (sociologue et chercheur à l'EHESS également) : « Qu'est-ce que le digital labor ?»

Dans ce nouvel ouvrage Antonio Casilli, poursuivant ses recherches, s'est livré à une enquête minutieuse sur le sujet et nous offre une analyse brillante et pointue des mouvements profonds qui sont en train de transformer radicalement le monde du travail, en rendant visible notamment le travail qui se dissimule derrière le clic, travail essentiellement précaire, et notamment celui qui se cache derrière l'intelligence artificielle.

Pour faire simple, son propos est que l'apparition sur les réseaux, d'activités qui, en tant qu'elles produisent de la valeur, celles-ci peuvent s'assimiler à du travail, auquel cas quelle en est la nature et la valeur marchande ? Peut-on parler d'exploitation si nous ne sommes pas ou trop peu rémunérés pour ce travail ? A qui cela profite-t-il ? Quelles sont les conséquences sur la notion même de travail et d'emploi, et ses répercussions à l'heure de la mondialisation ?

Casilli identifie trois sortes de « travailleurs des doigts »
- le travail à la demande. Il s'agit de l'ensemble des services à la personne : garde d'enfants, ménage, réparations, jardinage, etc… L'exemple le plus connu est UBER, d'où le vocable d'ubérisation.

- le micro-travail. Moins connu parce que moins visible, concerne l'ensemble de micros tâches réalisées au bénéfice de plateformes telle que Mechanical Turk d'Amazon, par une foule de travailleurs situés partout dans le monde. Les tâches en questions sont parcellaires, rébarbatives souvent, exécutées sur quantités de supports, textes, images, vidéos, etc. et nécessitent peu de qualifications. Les rémunérations sont extrêmement faibles. le micro travailleur est souvent au chômage ou cherche un complément de ressources.

- le travail social en réseau. C'est celui que Monsieur et Madame tout le monde réalise sur les médias sociaux comme Facebook, Instagram, YouTube…. Babelio compris, sur lesquels on publie des contenus, sélectionne ou tri de l'information… travail essentiellement gratuit.

Au mythe du robot et de l'automatisation totale qui hante notre imaginaire, Casilli répond qu'il s'agit d'un pur fantasme et qu'en réalité les robots ne font pas disparaître le travail, ils l'occultent et que loin de libérer l'homme de son travail ils le tâcheronnisent et que la question qui se pose en réalité est celle du modèle de travail que la révolution numérique est en train d'imposer au monde.
En d'autres mots, derrière l'intelligence artificielle ne se profilerait-il pas un cyberprolétariat ? L'avènement de l'IA et du remplacement de l'homme par le robot ne serait-il pas bien commode pour discipliner les forces de travail ?

Ce livre est à mon sens remarquable car il permet de comprendre comment les géants du numérique risquent de transformer l'économie mondiale et le modèle même du travail. Casilli se livre à un travail tout en finesse et rigueur qui allie à la fois les aspects sociologiques et géopolitiques et envisage des pistes d'actions, notamment juridiques pour corriger les effets délétères.
Un énorme travail donc d'analyse comme en témoigne les quelques 60 pages de notes bibliographiques en diverses langues. J'y ai beaucoup appris. Seule ma réticence à produire un avis trop long m'a retenue pour livrer toutes les réflexions qu'il m'a suggéré et pointer tous les aspects intéressants qui regorgent de cette enquête.

Je recommande vivement cet ouvrage à tous, non seulement parce qu'il met à jour certaines pratiques le plus souvent invisibles, mais surtout parce qu'il m'apparaît qu'il ouvre notre regard de cyber citoyen pour surfer intelligent et en toute connaissance de cause sur la toile.

Merci à l'équipe Babelio et à l'éditeur.
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