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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une nouvelle série, faisant partie du label Young Animal de DC Comics. Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2016/2017, écrits par Cecil Castellucci, dessinés et encrés par Marley Zarcone, avec une mise en couleurs réalisée par Kelly Fitzpatrick. Zarcone a été aidée à l'encrage par Ande Parks (pages 12 & 13 de l'épisode 2, 5 pages dans l'épisode 4, 10 pages dans l'épisode 6) et Ryan Kelly (5 pages de l'épisode 5). Ce tome se termine avec une postface de 2 pages écrite par Gerard Way, 4 pages de Who's who sur les personnages, et 5 histoires courtes de 3 pages, chacune réalisée par une équipe créative différente.

Dans l'hôpital de Valleyville, Megan Boyer reprend connaissance, après plusieurs heures dans le coma. Il semble qu'il y ait des animaux en liberté autour d'elle dans sa chambre. le personnel hospitalier appelle ses parents d'urgence pour qu'ils viennent la chercher, car ils ont hâte de se débarrasser de ce cas incompréhensible et perturbateur. Sur la planète Meta, Loma Shade est une grande admiratrice de la poésie de Rac Shade. Elle a réussi à convaincre Lepuck Ledo, son amoureux au lycée, de l'aider à ouvrir le présentoir qui contient la veste M de Rac Shade. Elle l'enfile et il se produit des manifestations psychédéliques qui indiquent que les propriétés de la veste agissent sur son esprit.

Il y a 5 mois, le groupe d'adolescents qui gravitaient autour de Megan Boyer s'était rendu au lac Yarrow. Megan Boyer avait convaincu ses copines de plonger dans le lac pour une séance impromptue d'entraînement à la nage acrobatique, sous le regard de Wes, son copain. Megan l'a convaincu d'appeler Teacup, la souffre-douleur du groupe. Cette répétition improvisée avait mal tourné. Au temps présent, l'esprit de Loma Shade est projeté dans le corps de Megan Boyer, et l'esprit de cette dernière est éjecté dans l'espace. Sur Meta, Mellu Moran (l'ancien amant de Rac Shade) demande à madame Deeps de mener l'enquête pour retrouver la veste M. Ses soupçons se portent sur Lepuck Ledo. Sur Terre, ses parents prennent conscience que Megan Moyer semble avoir changé de personnalité de façon drastique. Ils mettent ça sur le compte des conséquences de son coma.

Dans la postface, Gerard Way (chanteur du groupe My chemical romance et créateur des séries publiées par Young Animal) n'hésite pas à écrire que Shade est sa série préférée chez Young Animal, et la plus prometteuse, celle qui offre le plus de possibilités car elle parle de l'évolution et du changement. Si le lecteur a déjà lu les premiers tomes des 3 autres séries, il grimace un peu devant cette assertion démagogique, parce que Way a également beaucoup apprécié les 3 autres Doom Patrol (avec Nick Derrington), Mother Panic (écrit par Jody Houser, dessiné par Tommy Lee Edwards et Shawn Crystal), Cave Carson has a cybernetic eye (coécrit par John Rivera, et dessiné par Michael Avon Oeming). Il explique qu'il a proposé ce projet pour rendre hommage à la version de Shade the changing man par Peter Milligan & Chris Bachalo, à commencer par American Scream. À l'origine Shade est un personnage créé par Steve Ditko en 1977, voir The Steve Ditko omnibus Vol. 1.

Dès la fin du premier épisode, les auteures ont installé la dynamique du récit. Loma Shade est elle-même une adolescente, mais extraterrestre, qui se retrouve dans le corps d'une autre adolescente sur Terre. Elle doit donc s'accommoder à la vie sur Terre, découvrir quel genre de personne était Megan Moyer dont elle habite le corps. Effectivement, les auteures utilisent les conventions spécifiques du genre lycée. le lecteur découvre les copines de Megan Boyer et son copain. Il se rend compte qu'elle était une véritable peste, la jeune adolescente que tout le monde envie et qui en profite pour faire souffrir les autres, les faire plier à sa volonté, et en tirer parti. Il y a les parents qui ne comprennent rien à leur enfant, ce qui est normal puisque ce n'est plus l'esprit de leur fille qui habite son corps. Mais d'un autre côté, ils sont bien contents qu'elle ne se comporte plus comme un tyran. Il y a les séquences de sport, ici il s'agit de la natation acrobatique. Pour faire bon compte, Cecil Castellucci dépeint Loma Shade comme étant une grande lectrice de la poésie de Rac Shade, au point de pouvoir en citer des passages de tête.

Bien sûr l'idée d'un esprit extraterrestre projeté dans un corps d'adolescent fonctionne à merveille pour évoquer la sensation d'être un individu en décalage par rapport au monde qui l'entoure, inadapté dans un monde qui n'a pas grand-chose à voir avec ce que l'on est, ce que l'on ressent. Dans le corps de Megan Boyer, Loma Shade observe l'étrange comportement de ses parents : ils sont totalement déconnectés de ce qu'elle ressent, mais il est vrai que leur assistanat pour les détails de la vie pratique reste encore utile. le lecteur a l'occasion de voir Loma Shade en salle de cours à 2 reprises, et là encore si son corps est bien sur une chaise dans la classe, son esprit vagabonde dans une galaxie très lointaine, évoquant l'effet aliénant des cours sur un esprit adolescent assoiffé de liberté. La scénariste se montre assez maligne en ayant fait de Loma Shade une représentante d'une race extraterrestre avec des caractéristiques aviaires. Cela permet d'augmenter encore le décalage de ses points de vue, sa soif de liberté, et son investissement émotionnel dans les animaux, en particulier quand elle discute avec les oiseaux prisonniers au zoo.

Cecil Castellucci continue de développer le caractère de Loma Shade avec des petits détails, comme son amour pour les appareils électriques des années 1950/1960, mais cela ressort plus comme un artifice que comme un élément naturel. Loma Shade découvre rapidement quel genre de personne était Megan Boyer, un être égocentrique, sans égard pour autrui, ne voyant dans ses camarades que des outils à manipuler, n'éprouvant aucune empathie pour eux. Elle ne les percevait que comme des figurants à peine dignes de jouer un rôle dans sa vie. Loma est assez horrifiée par ce type de comportement qui ne correspond pas à son caractère. du coup, les adolescents qui évoluaient autour de Megan Boyer sont très circonspects de son changement d'attitude et craignent qu'il ne s'agisse que d'un subterfuge avant pour mieux les faire souffrir. D'ailleurs ils se retrouvent de temps à autre à éprouver des émotions bizarres et incontrôlables, un effet secondaire non maîtrisé des rayonnements émis par la veste M. le lecteur regrette toutefois que ces manifestations de la folie (une sorte de stase qui entoure la planète Meta) ne soient pas plus débridées.

Marley Zarcone avait déjà illustré Effigy de Tim Seeley. Elle réalise des dessins aux formes épurées, détourées par un trait très fin, parfois un peu cassant, conférant une sensation un évanescente et fragile aux personnages, similaire à l'approche graphique de certains shojo. Elle ne représente pas beaucoup de détails dans les surfaces détourées, privilégiant la rapidité de la lecture, à la représentation des textures. Elle adapte le nombre de cases par page, effectuant un découpage en fonction de la séquence, tout en restant sur la base de cases rectangulaires, mais avec des coins arrondis pour adoucir les bordures. le langage corporel des personnages est assez juste et expressif, sans postures exagérées. Les visages sont parlants, avec des expressions parfois légèrement exagérées sans qu'elles n'en deviennent caricaturales.

Même si les formes donnent une impression de simplisme du fait de leur détourage simplifié, le lecteur se rend compte que les cases comportent une bonne densité d'informations visuelles. L'artiste s'attache à donner des apparences différentes à tous les personnages, et les habille d'une garde-robe reflétant leur personnalité, ou leur occupation lorsqu'il s'agit d'un uniforme. Chaque lieu dispose de caractéristiques spécifiques discrètes mais bien présentes. La scénariste s'appuie donc sur les dessins pour apporter des informations visuelles sur chaque endroit, sans que les personnages n'aient à expliciter où ils se trouvent, ou qu'elle est leur occupation. En fonction de la sensibilité du lecteur, il trouve que la narration visuelle reste un peu fade et n'apporte pas un ressenti en phase avec le récit, ou au contraire que leur légèreté participe à l'impression de détachement de Loma Shade, à sa sensation de ne pas être intégrée à son environnement.

À l'issue de ce tome, le lecteur se dit que Gerard Way est bon public. Les auteures utilisent à bon escient le dispositif d'une extraterrestre habitant le corps d'une humaine pour mettre en scène les ressentis en décalage qui accompagnent l'adolescence, avec des dessins faciles à lire, et apportant de nombreuses informations. Toutefois, la dimension de la folie reste bien sage, et le récit reste un peu fade pour le lecteur qui se souvient des épisodes de Peter Millligan & Chris Bachalo. Il ne s'agit finalement que d'un regard classique sur l'adolescence, sans l'implication totale de cet âge. 3 étoiles. Les très courts récits à la fin mettent en scène des héros méconnus et oubliés de l'univers partagé DC, avec un regard plus décalé que celui de Shade, laissant à plusieurs reprises un goût de trop peu.
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