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Critique de Ingannmic


The Anonymous Project est une des plus importantes collections au monde de diapositives anonymes. Son fonds regroupe des dizaines de milliers de souvenirs immortalisés en Kodachrome, avec la volonté de préserver la mémoire collective tout en donnant une seconde vie aux inconnus et aux moments au cours desquels ils ont été capturés, de "créer de nouvelles façons d'interpréter et de raconter des histoires qui remettent en question notre place dans le monde d'aujourd'hui". Ces diapositives sont présentées au public à l'occasion d'expositions et de publications. C'est dans le cadre d'une collaboration entre The Anonymous Project et l'écrivain Arnaud Cathrine qu'a été réalisé ce roman-photo qu'est "Andrew est plus beau que toi".

D'abord l'objet.

Parce qu'il faut bien dire que l'ouvrage résultant de cette judicieuse association est très attirant, et que le feuilleter est un vrai plaisir. On éprouve à contempler ces visages, à découvrir ces moments du quotidien à l'esthétique rétro un sentiment à a fois curieux et familier, parfois même empreint d'une souriante nostalgie à la vue d'un objet qui aurait pu figurer dans le séjour de notre enfance, d'un vêtement qui ressemble à s'y méprendre à cette tenue que l'on arbore sur de vieux clichés familiaux…

Ensuite le texte.

J'aime beaucoup Arnaud Cathrine, sa plume subtile et sensible. Et il s'est naturellement frayé, parmi ces souvenirs anonymes, un chemin où exprimer la pudeur et la sincérité qui caractérise ses textes, et qu'il met ici au service de l'histoire des Tucker, californiens de la classe moyenne, se focalisant sur le parcours des deux fils de la famille, que nous suivons des années 40 aux années 80.

Ryan, l'aîné, est le fils arrivé trop vite, conçu juste avant le départ de Mason pour l'Europe en guerre, et qui a précipité son mariage avec Ashley, dont les parents ont vu presque comme une mésalliance cette union avec un fils de fermiers modestes. Soucieux du bien-être de sa fille, le père d'Ashley fait néanmoins embaucher son gendre. Mais de bien-être pour Ashley il n'y aura point, du moins pas dans la sphère conjugale : la guerre a définitivement transformé le jeune homme jovial bien qu'un peu mélancolique qu'était Mason en un mari mutique et dépressif, hanté par ses fantômes.

Un deuxième enfant arrive pourtant, encore un garçon ; c'est le Andrew du titre.

Ce sont les fils Tucker qui s'expriment tour à tour dans cette chronique d'une vie ordinaire dont Arnaud Cathrine extirpe, mais toujours avec délicatesse, ces petits riens -élans de spontanéité, regrets exprimés à demi-mot ou sous couvert d'une salvatrice dérision…- qu'il sait rendre significatifs, et qui donnent à ses personnages une épaisseur qui nous les rend palpables et presque intimes.

Comme dans la plupart des fratries, les deux frères se présentent par l'angle de leurs différences : Andrew à la fois rétif car supportant mal l'autorité et "trop discret pour être honnête", enfilant le costume du pitre de service versus Ryan le raisonnable, le stable, ne posant jamais de difficultés.

Mais ce sont des différences sans clivages, que surmonte sans peine l'amour que se portent les deux garçons. L'autorité ferme mais juste et l'affection pudique -voir l'indifférence du père quand il est en proie à ses démons- excluent toute rivalité, tout sentiment de privilège. L'alliance fraternelle, puissante et inoxydable, compense le manque d'expression de tendresse parentale.

Les clichés défilent, témoignent du temps qui passe, ponctué de vacances, de réunions familiales, d'instants du quotidien captés par surprise.

Les garçons grandissent, Andrew découvre -grâce son frère- les poètes de la beat generation, s'engouffre dans leur rébellion contre l'ordre établi -famille, religion, patriotisme-, assume sans complexe l'homosexualité qui l'éloignera de son père, pendant que Ryan, comme toujours complice et tolérant, se fait malmener par ses pulsions sexuelles…

Leurs témoignages se font par moments l'écho des tressautements et des obsessions qui marquent alors la société américaine : émeutes raciales et mouvement pour les droits civiques, paranoïa de la guerre froide. Arnaud Cathrine réussit à nous donner l'illusion d'écouter les commentaires que suscite chez ses personnages le visionnage de ces clichés, et à donner à l'ensemble une véritable densité.

le (petit) bémol, enfin.

J'en suis désolée, car oui, comme exprimé ci-dessus, j'ai aimé manipuler l'objet, et j'ai apprécié de me laisser embarquer par cette voix qu'Arnaud Cathrine sait si bien faire passer pour celle de ses personnages, mais j'ai eu du mal avec le fait que les diapositives illustrant le texte ne représentent pas les mêmes individus, créant parfois une sensation de décalage entre l'écrit et l'image…

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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