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Critique de Kirzy


Lorsqu'on fait la connaissance de Lucie, elle vient de recevoir une assignation au tribunal. Ses parents veulent obtenir un droit de visite des petits-enfants qu'ils n'ont jamais rencontrés. On ne sait rien de son passé traumatique, mais en quelques mots, on devine qu'elle a vécu un calvaire. Cette sonnette qui fait sursauter, le choc de savoir qu'elle a été retrouvée alors qu'elle voulait que son adresse reste secrète, ce « manteau noir, ce lourd et grand manteau noir de mon enfance ... ça recommence ».

La première partie, qui débute par un terrible « Je me revois à six ans et j'ai peur », est une plongée dans le passé de Lucie, dans le terrible huis clos familial de l'enfance. Chaque attestation, que certains membres de sa famille ou des amis lui envoient pour préparer le procès, font remonter des souvenirs, dévoilant un pan de l'horreur qu'elle a vécue à cause de ses parents.

Comme toujours avec des récit dont le matériau source est autobiographique ( l'autrice ne s'en cache pas en interview ), la question qui s'impose est le pourquoi du choix romanesque plutôt que du récit témoignage. Et c'est toujours très difficile de critiquer de tel texte raconté du point de vue de la victime de bourreaux familiaux. Il faut donc se concentrer sur la forme plutôt que le fond, maitrisée ou pas pour accompagner et porter le fond. Ce qui est sûr, c'est que j'aurai préféré que le caractère autobiographique soit annoncé par l'éditeur et non découvert au détours d'une interview.

Dans ce premier roman, on sent la colère de l'autrice sourdre entre les pages, on sent l'urgence à dire avec l'énergie qui l'accompagne, on sent toute sa sincérité à parler de la maltraitance faite aux enfants. Pourtant je n'ai pas trouvé la plus-value romanesque que j'attendais. L'écriture est juste mais assez plate, même si elle gagne en consistance à mesure que la lecture avance. Je me suis sentie sidérée par la violence subie, psychologique et physique, et admirative de la force de Lucie à chercher à sortir de la fange. Comment un enfant peut-il vivre sans l'amour de ses parents ? Comment peut-il accepter la haine que lui voue sa mère ?

Cependant, bizarrement, contrairement aux nombreux lecteurs qui ont très bien noté ce roman, je n'ai pas été profondément touchée par Lucie, car je n'ai pas eu la sensation d'avoir accès à ses paysages intérieurs. Quand un roman décrit des événements aussi irréfutablement affreux, on culpabilise toujours lorsque ne s'y connecte pas avec l'empathie attendue. J'ai culpabilisé donc et ce n'était pas confortable. J'ai ressenti un certain malaise.

Sans doute m'a-t-il manqué un contrepoint au récit de Lucie, une distance peut-être que le filtre romanesque peut et doit apporter. Je n'ai pas vraiment compris l'origine de la haine de la mère ( même s'il y a quelques pièces du puzzle ) et j'aurais aimé avoir plus accès à ce personnage forcément complexe. de plus, le procédé « réception d'une attestation = flasback » m'a semblé trop systématique, redondant et m'a lassée, alors qu'il était là pour susciter compréhension et émotion. Peut-être qu'un récit plus resserré, moins répétitif, m'aurait plus convaincue car les trois parties ( enfance – sortie du huis clos familial – procès ) sont judicieusement agencées.

Malgré ces réserves, j'ai eu envie de finir le roman car il n'a rien de racoleur comme le sujet pourrait le faire craindre. Je voulais connaître l'issue du procès et suivre le fil rouge annoncé en titre, pour découvrir comment Lucie avait vécu avec ce grand manteau noir de l'enfance saccagée. le déchirer, le faire tomber à ses pieds grâce à de lumineuses rencontres. le voir revenir pour l'enserrer et l'ensevelir. Avec cette métaphore très bien trouvée, Aline Caudet raconte parfaitement le parcours d'une vie et de l'enfant qui attend réparation dans le corps de l'adulte qu'il est devenu. Mais je pense qu'un récit documentaire affiché comme "vrai" plutôt que "romancé" aurait eu ma préférence.

Lu dans le cadre de la sélection des 68 Premières fois 2024 #5
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