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Critique de Pecosa


Le Cercas nouveau est arrivé et c'est un grand cru.
Lorsque le romancier, épuisé par l'écriture de son livre Anatomie d'un instant arrive à la conclusion que sa vie est une farce, lui revient en mémoire le scandale "Enric Marco", "l'imposteur" , dont la révélation provoqua un émoi considérable, surtout en Catalogne. En, 2005, à la veille du 60ème anniversaire de la libération du camp de Mauthausen, l'historien Benito Bermejo révèle à l'Espagne médusée que Marco, l'infatigable porte-parole des anciens déportés espagnols, le républicain combattant, la figure du syndicalisme catalan, le conférencier qui témoigne des horreurs de la déportation, l'auteur de Los cerdos del comandante, n'avait non seulement jamais été interné au camp de Flossenburg, mais était parti travailler comme volontaire civil à Kiel en Allemagne en 1941 (date à laquelle il était supposé avoir été arrêté par la Gestapo à Marseille).
Son témoignage était aussi faux que celui de Misha Defonseca/ Monique de Wael, qui survivait avec les loups depuis la Belgique. Un passé de déporté fantaisiste, un parcours militant clandestin fictif... le très habile Enric Marco, le menteur qui dit vrai, avait fini par croire à ses inventions, tromper les Espagnols (il faut dire que la Shoah est peu connue en Espagne), pour leur offrir la figure d'un héros dans une époque trouble.
Le 15 mai 2005, Mario Vargas Llosa se fendait d'un remarquable article dans El Pais, "Espantoso y genial", dans lequel il célébrait le talent de conteur d'Enric Marco, brutalement interrompu par un historien empêcheur de tourner en rond: "Señor Enric Marco, contrabandista de irrealidades, bienvenido a la mentirosa patria de los novelistas."
C'est également cette facette du personnage qui passionne Javier Cercas. Dans ce récit protéiforme qui mêle investigation personnelle, fiction factuelle, réflexion sur l'affabulation, interrogation sur la création littéraire le romancier utilise l'image des pelures d'oignon pour parvenir à la vérité de l'affaire Enric Marco. On se remémore alors les souvenirs de guerre de Günter Grass évoqués dans son ouvrage Pelures d'oignon, mais pas seulement. El impostor fourmille de références littéraires qui ouvrent davantage encore le champ de la réflexion. Cercas poursuit ses réflexions sur le Héros, qu'il soit le républicain des Soldats de Salamine, Suarez et le 23 F (Anatomie d'un instant) , El Zarco des Lois de la frontière... Dans El impostor, sans doute sa plus belle oeuvre, Cercas montre comment Enric Marco, homme médiocre, menteur, plagiaire, faussaire est parvenu avec un incroyable talent et une audace à toute épreuve, à faire d'une existence banale la plus extraordinaire des oeuvres de fiction. Riche panorama de la vie espagnole, de l'aventure anarcho-syndicaliste de la fin des années 20 aux années post-franquistes, El impostor est la preuve que dans un temps de mémoire, et non d'histoire, l'affabulation ne peut que prospérer.


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