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EAN : 9782330053079
403 pages
Actes Sud (02/09/2015)
3.78/5   259 notes
Résumé :
En juin 2005, l’histoire d’un paisible nonagénaire barcelonais fait le tour du monde : Enric Marco, le charismatique président de l’Amicale de Mauthausen, qui pendant des décennies a porté la parole des survivants espagnols de l’Holocauste, n’a jamais connu les camps nazis. Et l’Espagne d’affronter sa plus grande imposture, et Javier Cercas sa plus audacieuse création littéraire. Avec une mise en garde à ne pas négliger : « La littérature n’est pas un passe-temps i... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (61) Voir plus Ajouter une critique
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L’imposture n’est pas qu’un mensonge et c’est en cela qu’elle parvient à tromper ceux qui s’y trouvent confrontés que ce soit l’imposteur qui finit par croire en son bien-fondé, ou ceux qui croisent occasionnellement sa route et même ceux qui le côtoient quotidiennement comme sa famille et ses amis. Se bâtissant sur des vérités que l’imposteur agrémente et mélange avec des mensonges, elle devient vraie.
L’imposteur en fait sa réalité tel Enric Marco qui parvient à faire « un roman de sa vie », que Claudio Magris qualifie de « menteur qui dit la vérité ».

Comment écrire alors, un roman sur un personnage comme Enric Marco qui aura fait de sa vie une fiction, à laquelle tout le monde croira pendant des années ? Impossible nous dit Xavier Cercas qui reculera pendant sept ans le moment d’écrire ce livre par peur de paraître réhabiliter Marco, de l’excuser, de le conforter dans son rôle de héros. 
Alors qu’il souhaitait par son livre, et aussi au fil des rencontres qu’ils auront, le faire revenir à la raison « le faire agir contre le faux Marco…retrouver le véritable Marco de même qu’à la fin de Don Quichotte, Alonso Quijano agit en faveur de lui-même en cessant d’être Don Quichotte. »

Ce livre de Xavier Cercas décortique et fait jouer toutes les facettes de l’imposture si bien que par moment on ne sait plus qui est l’imposteur lui, nous ou Enric Marco.
Comment romancier et lecteurs ne pourraient-ils pas se laisser prendre et ressentir parfois un intérêt si ce n’est une certaine admiration pour cet « embobineur hors pair » ?
Comme le dit Raul fils de Javier Cercas auquel son père vient de dire que le sujet de son prochain livre sera l’affaire Marco
« … C’est bien ce vieux qui disait qu’il avait été dans un camp de concentration et après, il s’est avéré que c’était un mensonge, c’est ça ?
(…) Un type intéressant, on ne peut pas mentir autant sans être intéressant. »

Et ce livre est non seulement intéressant mais passionnant par le jeu constant qu’il joue entre mensonge et vérité, mais aussi gênant parce qu’il nous met en face de nous-même et de nos contradictions et nous pose beaucoup de questions sur notre société où règne le mensonge, une société où l’information est falsifiée, où l’imposture est possible car elle la favorise. Qu’est le storystelling dont raffolent hommes politiques et entreprises sinon une vaste imposture à l’échelle de la société entière ?.

« … c’est surtout les médias qui ont fini par transformer Marco en héros et en champion de ladite mémoire historique, pour ne pas dire en une vraie rock star.
(…) les journalistes l’adoraient, ils en perdaient la tête, se battaient pour avoir un entretien avec lui.
(…) De plus, Marco flattait leur vanité : dans les entretiens avec ce personnage extraordinaire, ce vieux soldat de toutes les guerres ou de toutes les guerres justes, les journalistes se voyaient eux-mêmes comme d’audacieux défricheurs d’un passé négligé dont personne ne voulait parler, le meilleur de leur pays, le passé le plus noble et le mieux caché, et ils sentaient qu’ils rendaient ainsi justice, honoraient à travers Marco toutes les victimes négligées non seulement par le franquisme mais aussi par la démocratie qui lui a succédé. » p 278-279

Comme Javier Cercas je n’excuse pas Marco Enric qui maintient « qu’il n’a pas menti mais seulement altéré la vérité ». Mais le livre que je viens de lire m’a fait me questionner et m’a vraiment désarçonnée. Rien que pour cela il mérite d’être lu. Il est impossible d’en rendre toute la complexité car il met au jour toutes les contradictions qui nous habitent et les analyse en profondeur. Il ne peut pas laisser indifférent.
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Le Cercas nouveau est arrivé et c'est un grand cru.
Lorsque le romancier, épuisé par l'écriture de son livre Anatomie d'un instant arrive à la conclusion que sa vie est une farce, lui revient en mémoire le scandale "Enric Marco", "l'imposteur" , dont la révélation provoqua un émoi considérable, surtout en Catalogne. En, 2005, à la veille du 60ème anniversaire de la libération du camp de Mauthausen, l'historien Benito Bermejo révèle à l'Espagne médusée que Marco, l'infatigable porte-parole des anciens déportés espagnols, le républicain combattant, la figure du syndicalisme catalan, le conférencier qui témoigne des horreurs de la déportation, l'auteur de Los cerdos del comandante, n'avait non seulement jamais été interné au camp de Flossenburg, mais était parti travailler comme volontaire civil à Kiel en Allemagne en 1941 (date à laquelle il était supposé avoir été arrêté par la Gestapo à Marseille).
Son témoignage était aussi faux que celui de Misha Defonseca/ Monique de Wael, qui survivait avec les loups depuis la Belgique. Un passé de déporté fantaisiste, un parcours militant clandestin fictif... le très habile Enric Marco, le menteur qui dit vrai, avait fini par croire à ses inventions, tromper les Espagnols (il faut dire que la Shoah est peu connue en Espagne), pour leur offrir la figure d'un héros dans une époque trouble.
Le 15 mai 2005, Mario Vargas Llosa se fendait d'un remarquable article dans El Pais, "Espantoso y genial", dans lequel il célébrait le talent de conteur d'Enric Marco, brutalement interrompu par un historien empêcheur de tourner en rond: "Señor Enric Marco, contrabandista de irrealidades, bienvenido a la mentirosa patria de los novelistas."
C'est également cette facette du personnage qui passionne Javier Cercas. Dans ce récit protéiforme qui mêle investigation personnelle, fiction factuelle, réflexion sur l'affabulation, interrogation sur la création littéraire le romancier utilise l'image des pelures d'oignon pour parvenir à la vérité de l'affaire Enric Marco. On se remémore alors les souvenirs de guerre de Günter Grass évoqués dans son ouvrage Pelures d'oignon, mais pas seulement. El impostor fourmille de références littéraires qui ouvrent davantage encore le champ de la réflexion. Cercas poursuit ses réflexions sur le Héros, qu'il soit le républicain des Soldats de Salamine, Suarez et le 23 F (Anatomie d'un instant) , El Zarco des Lois de la frontière... Dans El impostor, sans doute sa plus belle oeuvre, Cercas montre comment Enric Marco, homme médiocre, menteur, plagiaire, faussaire est parvenu avec un incroyable talent et une audace à toute épreuve, à faire d'une existence banale la plus extraordinaire des oeuvres de fiction. Riche panorama de la vie espagnole, de l'aventure anarcho-syndicaliste de la fin des années 20 aux années post-franquistes, El impostor est la preuve que dans un temps de mémoire, et non d'histoire, l'affabulation ne peut que prospérer.


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Il y a des oeuvres qui rebutent même leurs auteurs. Soit parce qu'elles révèlent plus qu'ils ne le voudraient sur eux-mêmes, soit parce qu'elles s'attaquent à quelque chose qui dépasse les normes sociales. Et parfois, on retrouve les deux motifs concomitamment, c'est le cas pour L'imposteur qui déshabille Enric Marco de tous ses attributs de héros national. Roi déchu quelques années avant la parution de ce livre de son trône de résistant anti franquiste et de survivant de l'Holocauste, Marco se retrouve totalement nu ou presque sous la plume de Javier Cercas.
C'est pas beau à voir.
Car menant l'enquête, l'auteur espagnol démonte méthodiquement le château de sable que s'est construit Marco avec un aplomb sans pareil. Attelé à recomposer son parcours, Cercas use toutefois de la littérature pour mettre en scène sa propre investigation ou pour évacuer quelques unes des zones d'ombre. C'est certainement pour cela que l'auteur utilise volontairement l'expression de roman sans fiction et non le terme de biographie qui est quant à lui totalement absent.
Les faits grossièrement reconstitués et les certitudes peu à peu acquises donnent en tout cas un portrait fascinant à lire. On découvre un anonyme, voire un invisible prisonnier d'un narcissisme flamboyant qui n'a pas seulement menti et réinventé sa vie, il est également parvenu quelques facteurs extérieurs aidant à inscrire son nom dans l'histoire de son pays. le prestige du résistant et du déporté gagné ainsi que les mensonges de plus en plus sophistiqués ont rendu sa falsification presque indétectable et lui presque invulnérable.

A partir du moment où l'usurpation faisait consensus au sein des institutions faute de contradicteurs, et les mensonges disséminés dans des vérités irréfutables ayant revivifié la mémoire collective (laquelle avait été balayée par la transition démocratique après la mort de Franco), il n'était pas confortable d'oeuvrer à révéler l'imposture ou à la décortiquer. Les nombreuses répétitions obsessionnelles de l'auteur en témoignent, de même que le dialogue imaginaire entre l'auteur et Enric Marco...il met en évidence les défis et les contradictions morales de Javier Cercas qui, après tout, se sert de la fiction également dans ses oeuvres pourtant hantées par la quête de vérité.

Bien que je ne sois pas une admiratrice de l'esthétique littéraire de l'auteur, cette enquête a été passionnante à bien des égards. Javier Cercas ne s'est pas contenté de déconstruire la vie d'un homme, il a tendu un miroir dans lequel on voit le reflet de l'Espagne piégée par le culte de la mémoire et celui de l'auteur en proie à ses propres contradictions. «Marco n'était pas seulement fascinant en tant que tel, mais aussi par ce qu'il révélait des autres».
S'atteler à écrire sur un personnage réel est toujours une entreprise risquée car on risque de tomber dans la complaisance de mauvais goût. Mais Cercas est parvenu à éviter cet écueil en s'engageant dans le récit prudemment. Et lorsque l'exercice est réussi, on se rend compte combien la fiction est paradoxalement importante dans la transmission de l'Histoire...
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"L'imposteur" ou "Autopsie d'un imposteur" ,est "la vraie histoire" d'Enric Marco,icône antifranquiste,porte-parole des survivants espagnols de l'Holocauste, qui s'est construit une vie fictive,basée sur des mensonges sur toute sa vie.Il sera démasqué en 2005 par un jeune historien espagnol.
Écrire une critique sur ce livre s'avère difficile,car le livre est complexe et se lit à plusieurs niveaux.
D'emblée avec le tout premier paragraphe,Cercas nous prend de court:
"Je ne voulais pas écrire ce livre.....Ce livre est terminé.....Je ne voulais pas l'écrire parce que j'avais peur....Ce n'est que maintenant que je sais que ma peur est justifiée."
En faite le vrai protagoniste du livre est Cercas lui-même.Il a fait un travail d'orfèvre,se consacrant corps et âmes à démonter des mensonges construits sur une période de 30-40 à 50 ans. Le résultat? Un livre époustouflant de simplicité,de lucidité et d'intelligence,qui repose sur la vérité et sur des faits au plus près de la réalité,laissant quand même du terrain à la fiction et beaucoup de questions sans réponses....
Et pour Marco? Cercas dit que la fiction sauve, la réalité tue,mais jusqu'à une certaine limite , au-delà de laquelle le contraire peut s'avérer....
A travers l'histoire de Marco, Cercas revient à la littérature: un roman est-il un mensonge ? Une fiction est-il un mensonge ?et compare Marco avec un romancier :"Marco opére comme un romancier..comme Marco le réel,le romancier est profondément insatisfait de sa vie; non seulement de sa propre vie mais de la vie en général; et c'est pourquoi il la refait selon ses désirs,par le biais des mots,dans une fiction romanesque..."
L'auteur pose aussi la question de l'imposture au niveau de l'histoire et la mémoire collective de l'Espagne, qui a facilité l'imposture de Marco.L'Espagne doit faire face à son passé avec la réalité et non la fiction.
J'ai beaucoup aimé aussi sa confession sous forme de dialogue fictif avec Marco...que je trouve sincère et touchant.
Est-ce-que en écrivant ce livre , Cercas a-t-il atteind son but?,transformer ce livre en grand diffuseur de la vérité définitive d'Enric Marco? Un livre peut-il concilier un homme avec la réalité et avec lui-même?c'est-à-dire au jour où on sait pour toujours qui on est....je pense que oui...un oui hésitant .....
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L'imposteur c'est l'histoire d'un imposteur espagnol Enric Marco qui a fini par être démasqué,alors qu'il devait participer aux commémorations du soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration , qui s'était inventé tout un passé d'antifasciste. Je n'avais jamais entendu parler de cet auteur espagnol ni de l'histoire d'Enric Marco , c'est en lisant une critique sur le site que j'ai eu envie de lire ce livre et j'avoue que je ne suis pas déçue , bien au contraire , le livre a tenu ses promesses , c'est un livre qui pose des questions intéressantes sur les notions de mensonge , de vérités comme les phrases :
Le bon mensonge est pétri de vérités
Le menteur dit ce que l'on veut entendre . L'auteur met en parallèle le mythe de Narcisse qui ne doit ni se connaître , ni se reconnaître et d'un des plus fameux espagnol de fiction célèbre , je veux parler de Don Quichotte . L'auteur analyse les notions si fluctuantes du mensonge et de la vérité ,
évoque le chantage du témoin : le témoin et l'histoire sont deux choses différentes nous dit - il et l'historien doit avoir le courage de tenir tête .
' L'histoire et la mémoire sont opposées. La mémoire est individuelle partielle et subjective , l'histoire en revanche est collective et elle aspire à être totale et objective ' . La mémoire collective ce sont des souvenirs d'autres personnes qu'on a entendu , qu'on nous a raconté et elle n'est pas une source historique fiable .
Beau développement également sur la notion de kitch , le kitch en art et le kitch romanesque , utilisé par Enric Marco , qui est un ersatz de la vérité , en fait le
menteur nous dit ce que nous voulons entendre , la majorité des gens aiment ce genre de choses , il est donc difficile de le démasquer , il faut du courage pour le faire , on est le trublion , et personne n'aime en être un .
Les histoires racontées étaient trop romanesques , Enric Marco donnait trop de détails , il enjolivait de plus en plus son récit , au point que quelques anciens prisonniers des camps le prenaient pour un clown .
Mais l'auteur pose les bonnes questions et nous interroge sur le rôle des médias qui aiment ce genre de récits , plus le mensonge est gros plus la majorité y adhère.
Javier Cercas , nous parle de sa première rencontre avec Marco , au début joue le rôle de l'inquisiteur, il veut obliger Marco à reconnaître son imposture , il le pousse dans ses retranchements mais de toute façon Marco
ne l'a reconnaîtra jamais , il justifiera jusqu'à la fin ce qu'il a fait , pour le devoir de mémoire même s'il se rend bien compte qu' il a
déçu les gens qui sont maintenant gênés de l'avoir cru , il y a une petite minorité qui ne l'a pas cru .
Quel rôle a joué l'Espagne qui devait oublier son passé franquiste , pour pouvoir passer du franquisme à la démocratie sans guerre civile , on a fait un pacte d'oubli momentané , la majorité des espagnols ont occulté ou embelli leur passé . Ce n'est qu'à peu près vingt cinq ans après qu'on a enfin pu penser aux victimes , le délai de vingt cinq a été comme après la guerre en Allemagne.Les gens se sont réinventés un passé ou l'ont embelli . A ce moment de l'histoire d'Espagne , on a eu soudain envie de parler des victimes , de réparer le mal qu'elles ont subi et c'est dans ce contexte de devoir de mémoire que Marco a trouvé son public , le contexte permet aussi à Marco d'aller toujours plus loin dans ses mensonges .
Au fur et à mesure des rencontres avec Marco qui est tout de même un imposteur de première catégorie , l'auteur ne jouera de moins en moins l'inquisiteur , il essaye de comprendre et nous dit de façon très juste que c'est le rôle de l'écrivain aussi , il ne veut pas justifier les actes de Marco , encore moins le réhabiliter mais veut essayer tout au moins d'expliquer .
Marco le menteur pathologique , le séducteur , le narcissique a peut - être une ressemblance avec l'écrivain , un écrivain n'est il pas un menteur narcissique lui aussi .
Le livre est aussi un cas d'étude psychiatrique , qui garde ses mystères , homme qui a menti même sur sa date de naissance , qui a refait sa vie du jour au lendemain à deux reprises , séducteur jusqu'au bout , qui essaye de flatter l'auteur , qui ne
s'est pas écroulé après l'affaire, soutien indéfectible de ses filles , une a même pris la parole publiquement.. Homme à l'énergie débordante qui a fait un nombre incalculables de conférences , a écrit des articles , des livres , assoiffé de reconnaissance , de mise en lumière .
Un livre qui m'a passionné , j'ai vu que l'auteur avait écrit plusieurs livres dont Les soldats de Salamine , je le relirai , je pense que ce livre de non fiction comme l'appelle Javier Cercas est le meilleur livre que j'ai lu depuis longtemps .
Il m'a séduite par ses réflexions , ses questionnements pertinents .
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critiques presse (3)
LaPresse
07 décembre 2015
Un roman sans fiction sur un homme dont la vie en est une, presque construite de toutes pièces.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Telerama
02 septembre 2015
Hanté par le réel, le romancier espagnol démonte l'improbable mystification d'une victime supposée de la déportation nazie. Une fresque renversante.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
31 août 2015
Littérature et tromperie: vaste sujet que Javier Cercas explore en bon moderne.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (74) Voir plus Ajouter une citation
Qu'est-ce que le kitsch ? Pour commencer, c'est une idée de l'art qui suppose une falsification de l'art authentique ou pour le moins sa spectaculaire dévaluation ; mais c'est aussi la négation de tout ce qui dans l'existence humaine s'avère inacceptable,; caché derrière une façade de sentimentalisme, de beauté frauduleuse et de vertu postiche. En deux mots, le kitsch est un mensonge narcissique qui cache la vérité de l'horreur et de la mort : de la même manière que le kitsch esthétique est un mensonge esthétique - un art qui en réalité est un art faux - le kitsch historique est un mensonge historique - une histoire qui en réalité est une histoire fausse. C'est pourquoi on peut qualifier de pur mensonge ( c'est-à-dire de pure kitsch ) la version romancée et décorative de l'histoire que Marco diffusait à travers ses récits, aussi bien sur Flossenburg que sur la guerre et l'après-guerre espagnoles - des narrations remplies d'émotions, d'effets et d'emphase mélodramatiques, riches en mauvais goût mais imperméables aux complexités et aux ambiguïtés de la réalité, au centre desquelles évolue un héros de carton-pâte capable de garder - impassible, sa dignité face à une brute nazie ou à une brute phalangiste (...). De même que la déjà vieille industrie du divertissement a besoin de s'alimenter du kitsch esthétique qui offre à celui qui le consomme l'illusion de profiter de l'art authentique sans lui demander en échange de faire aucun des efforts que cette jouissance exige, ni de s'exposer à aucune des aventures intellectuelles, ni à aucun risque moral qu'elle suppose, la nouvelle industrie de la mémoire a besoin de s'alimenter du kitsch historique qui offre à celui qui la consomme l'illusion de connaître l'histoire réelle tout en lui épargnant le moindre effort, et surtout les ironies et les contradictions et les troubles et les hontes et les horreurs et les nausées et les vertiges et les déceptions que cette connaissance lui apporte (...). Le kitsch est le style naturel du narcissique, l'instrument dont il se sert dans son exercice assidu d'occultation de la réalité, pour ne pas la connaître ni la reconnaître, pour ne pas se connaître ni se reconnaître.
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Le résultat du mélange d’une vérité et d’un mensonge est toujours un mensonge, sauf dans les romans où c’est une vérité. Marco a confondu de façon volontaire les romans et la vie : il aurait dû mélanger des mensonges et des vérités dans un cas mais pas dans l’autre ; il aurait dû écrire un roman. S’il avait écrit un roman, il n’aurait peut-être pas fait ce qu’il a fait. Peut-être est-il un romancier frustré. Ou peut-être ne l’est-il pas et ne s’est-il pas résigné à écrire un roman parce qu’il a voulu le vivre. Marco a fait un roman de sa vie. p 195
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Je ne voulais pas écrire ce livre. Je ne savais pas exactement pourquoi je ne voulais pas l’écrire ou bien si, je le savais, mais je ne voulais pas le reconnaître ou je ne l’osais pas ; ou pas complètement. Le fait est que, pendant plus de sept ans, je me suis refusé à écrire ce livre. Entre-temps, j’en ai écrit deux autres, sans cesser de penser à celui-ci ; loin de là : à ma manière, tandis que j’écrivais ces deux livres, j’écrivais aussi celui-ci. Ou peut-être était-ce ce livre-ci qui, à sa manière, m’écrivait moi.
Les premiers paragraphes d’un livre sont toujours les derniers que j’écris. Ce livre est terminé. Ce paragraphe est le dernier que j’écris. Et, comme c’est le dernier, je sais à présent pourquoi je ne voulais pas écrire ce livre. Je ne voulais pas l’écrire parce que j’avais peur. Je le savais depuis le début mais je ne voulais pas le reconnaître ou je ne l’osais pas ; ou pas complètement. Ce n’est que maintenant que je sais que ma peur était justifiée . (p. 13)
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La mémoire et l'histoire sont en principe,opposées:la mémoire est individuelle,partielle et subjective; l'histoire en revanche,est collective et elle aspire à être totale et objective.La mémoire et l'histoire sont aussi complémentaires:l'histoire donne un sens à la mémoire; la mémoire est un instrument,un ingrédient ,une partie de l'histoire.Mais la mémoire n'est pas l'histoire.p.263
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La pensée et l'art,me disais-je essaient d'explorer ce que nous sommes ,ils révèlent notre infinie variété,ambigüe et contradictoire,ils cartographient ainsi notre nature: Shakespeare et Dostoievski,me disais-je,éclairent les labyrinthes de la morale jusque dans leurs derniers recoins,ils démontrent que l'amour est capable de conduire à l'assassinat ou au suicide et ils réussissent à nous faire ressentir de la compassion pour les psychopathes et les scélérats; c'est leur devoir,me disais-je,parce que le devoir de l'art(ou de la pensée)consiste à nous montrer la complexité de l'existence,afin de nous rendre plus complexes à analyser les ressorts du mal pour pouvoir s'en éloigner,et même du bien,pour pouvoir peut-être l'apprendre.p.18
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Vidéo de Javier Cercas
Grand entretien avec Javier Cercas, modéré par Guénaël Boutouillet.
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