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Critique de VingtNeuf


Quarantenaire célibataire, doté d'un tempérament sombre et mélancolique, le narrateur est un chercheur brésilien qui étudie depuis des années une tribu indigène d'Amazonie. Il a appris leur langue, leurs coutumes et a créé des liens forts avec certains membres de la communauté. C'est son obsession pour l'histoire de l'attrapeur d'oiseaux, un mythe sur l'origine du monde, dont il n'a fait qu'entendre des bribes lors de ses précédents séjours, qui l'amène à repartir dans la forêt afin d'essayer d'en savoir davantage. le récit s'ouvre sur son départ pour une énième expédition, les préparatifs dans la dernière ville de frontière aux portes du « labyrinthe vert ». Il se poursuit sur le long périple en compagnie de sa famille indigène adoptive – Sebastião Baitogogo, sa femme et ses enfants –, son arrivée dans le village. S'ensuivent plusieurs scènes de vie quotidienne, entrecoupées de discussions avec le pajé Tarotaro qui habite dans un autre village ; l'anthropologue re-transcrit l'histoire à mesure que le chamane la lui raconte. La mort du présidente Antonio Apiboréu, beau-père de Baitogogo, bouleverse la communauté qui doit lui trouver un successeur.
S'apparentant à un journal intime d'un ethnologue en mission, le texte est une véritable plongée dans la vie des Indiens d'Amazonie, un univers sombre et fascinant. Il est question à la fois de leurs habitudes quotidiennes (chasse, repas, consommation de tabac, etc.), mais aussi de leurs mythes, superstitions et histoires cosmogoniques, ainsi que des rites religieux et funéraires qu'ils pratiquent scrupuleusement. La forêt amazonienne est au centre de ce roman dont le narrateur évoque à plusieurs reprises la chaleur épouvantable, les tempêtes, l'omniprésence du fleuve, de la faune et de la flore. Les personnages doivent souvent lutter contre la malaria et autres maladies tropicales provoquant fièvre et diarrhées. de manière générale, tout est marqué par une grande violence.

Raconté au présent à la première personne, le récit est structuré en huit chapitres. La narration est entrecoupée de quelques courts dialogues, ainsi que de la retranscription des mythes sur lesquels le narrateur interroge Tarotaro.
La description détaillée des scènes de la vie quotidienne et des rites (notamment funéraires) contraste avec l'omission de nombreuses informations. Ni les toponymes des villages, ni la présence de la forêt, ni la mention des pays frontaliers (Pérou, Colombie) ne nous permettent de définir avec précision le lieu et l'époque de l'action, pas plus que le nom de la tribu dans laquelle séjourne le narrateur. On ignore également le prénom de ce dernier, la ville où il habite, l'institution (« le Laboratoire ») pour laquelle il travaille, son métier (anthropologue, ethnologue ?). En effet, si le narrateur donne quelques détails très intimes sur ses intestins ou ses frustrations sexuelles, on sait peu de chose sur lui. Il omet également de mentionner le nom du « vieux Français » qui a étudié les mythes amérindiens, notamment au Brésil, et qu'il évoque à plusieurs reprises.
Le lecteur découvre un univers méconnu, ainsi qu'un champ lexical très spécifique autour des plantes, des habitudes, des aliments, etc. ; la répétition des occurrences permet au lecteur de com-prendre de quoi il en retourne. La mythologie et le chamanisme sont au centre de L'Attrapeur d'oiseaux. La figure du pajé revêt à cet égard une importance fondamentale. le texte évoque la vision du monde des indigènes, leur perception du temps et de l'espace radicalement différentes de la nôtre. Les rêves et cauchemars traversent le roman depuis celui du narrateur la nuit à l'hôtel la veille de son départ qu'à ceux de Pasho, le nain.
Certains passages sont drôles, voire grinçants, comme celui des missionnaires nord-américains effrayés par les rites funéraires des indigènes. Ou encore lorsque la communauté veut se procurer une fusée, aperçue sur un numéro du National Geographic laissé par le narrateur lors d'un précédent séjour.
Si on ne trouve pas de longueurs, on peut à certains moments constater un manque de rythme, sans doute une façon d'insister sur la torpeur amazonienne. Tout comme l'évocation répétitive de la fascination du narrateur pour le mythe de l'attrapeur d'oiseaux est une façon de montrer son caractère obsessif. Sans recourir aux ficelles classiques de la narration permettant de happer le lecteur, l'auteur est parvenu à créer un texte à la fois sobre, exigeant et intense. La tension est créée par la violence du décor, des histoires et anecdotes, ainsi que par le récit fragmenté du fameux mythe de l'attrapeur d'oiseaux que les membres de la communauté semblent résister à ra-conter à l'ethnologue. Celui-ci en comprendra les raisons trop tard – l'accélération de la fin est particulièrement réussie et laisse le lecteur dans un trouble profond.
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