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Critique de tolstoievski


Tous les avis ou presque que j'ai pu consulter à propos de cette pièce de théâtre de Gilbert Cesbron allaient dans le même sens. Ce titre jouissant d'un certain renom, j'ai cru bon de le lire. Or, je suis loin de partager l'enthousiasme quasi général à son propos.

Pour commencer, un signe qui ne trompe pas : j'ai lu cette pièce il y a environ deux mois (deux mois, c'est assez court tout de même, et je ne souffre pas encore de la maladie d'Alzheimer, du moins je ne le crois pas) eh bien je peine à me remémorer tant la pièce que les personnages tant l'impression produite sur moi fut puissante et durable.

Ce que j'en retiens, c'est une grande impression d'artificialité, de personnages très sentencieux, qui parlent au passé simple et qui devisent de sujets éternels dès qu'ils se rencontrent. Tout sonne faux à mes oreilles. Et, plus grave encore, sous une apparente recherche de profondeur, je trouve presque tous les personnages assez creux et caricaturaux.

L'ensemble m'apparaît finalement plutôt manichéen et daté. Dans le club des " gentils ", on trouve bien sûr en n° 1 Albert Schweitzer, le médecin dévoué, qui, envers et contre tout, accomplit sa besogne de bienfaiteur universel dans des conditions apocalyptiques. Il se sacrifie, en gros, laisse s'évaporer son talent de musicien, sa famille en Alsace, et tout, et tout, rien que pour la poursuite de son idéal. Bref, ça sent la vision moralisatrice (voire la propagande) chrétienne à plein nez.

Et l'infirmière Marie ? (bon rien qu'au prénom, vous avez compris de quoi il s'agit, là encore). Elle aussi est une bienfaitrice dévouée, toujours plus ou moins dans le sacrifice, belle, humaine, prévenante, intelligente. En clair, un personnage très crédible.

Et le Père Charles ? Bingo ! encore gagné ! Voici un autre très bel archétype : le prêtre dévoué, ultra bienfaiteur, cela va sans dire, qui n'hésitera pas à payer de sa vie s'il le faut, etc. etc. Bon ok, je commence à bien percevoir l'atmosphère du tableau.

Voyons, voyons, que trouve-t-on ensuite ? le militaire, oh, là, là ! Formidable encore le militaire ! Lui aussi pétri d'idéaux très haut perchés, et s'il fait la guerre, soyez-en persuadés, c'est toujours pour la bonne cause. Quant au sacrifice, en ce qui le concerne, n'en parlons pas, c'est comme qui dirait une seconde peau, sa manière d'être, sa marque de fabrique. Et, bien évidemment, s'il prête la main (en l'occurence les armes) à la colonisation, c'est uniquement pour contribuer à une " mission " (l'équivoque du terme est parlante) dont les bénéficiaires ne peuvent, ne sauraient être, en définitive, que les malheureuses populations colonisées pour lesquelles la colonisation répand ses bienfaits.

Enfin, qui clôt la brochette d'archétypes ? Ah oui, il faut bien entendu un méchant. Alors voilà, ce sera lui, ouuuuh ! le méchant, le méchant, méchant administrateur colonial. En plus il s'appelle Leblanc, ce qui franchement la fout mal quand il s'agit d'administrer des populations noires. Alors lui c'est l'appât du gain et la traitrise personnifiés. Peu importe la marque du vélo, c'est un calculateur, un arriviste, un prédateur. En deux mots, le grand Satan.

Derrière ce canevas hautement prévisible, l'auteur s'échine à essayer de nous faire croire que ses personnages ont une quelconque complexité. Alors il leur découpe quelques états d'âme en carton, une mauvaise conscience ensevelie qui les pousserait à agir. Sauf, bien entendu, l'administrateur Leblanc, qui, lui, s'il avait des états d'âme, ne pourrait vraisemblablement pas être le véritable méchant qu'il est et que l'auteur tient absolument qu'il soit.

De plus, toute la pièce tourne autour d'un élément (plus ou moins historique, plus ou moins aménagé pour les besoins de la pièce), à savoir qu'à la déclaration de guerre entre la France et l'Allemagne en 1914, le cas du fameux Docteur Schweitzer s'avéra problématique. En effet, depuis l'annexion de 1870, son Alsace natale était devenue un territoire allemand et lui, de facto, un citoyen allemand.

Officiant sur le territoire de l'empire colonial français, cet Allemand devenait donc, nécessairement un problème. Oui, on voit bien où il veut en venir Gilbert Cesbron avec ses gros sabots. L'administration prend, du jour au lendemain, une décision idiote d'arrestation vis-à-vis d'un citoyen allemand totalement apolitique et bénéfique pour la France.

Par contre, ce que la pièce ne remet pas du tout en question, c'est l'idée même de la présence française en Afrique. Là, tout va bien dans cette direction-là. le côté paternaliste catho français soi-disant désintéressé y est présent jusqu'à l'overdose. Ça pue la bien-pensance conservatrice et le côté missionnaire ; d'ailleurs les populations locales sont remarquablement ignorées, voire qualifiées de sauvages vis-à-vis du malheureux brave prêtre.

Il est assez notable, je pense, que le seul personnage indigène de la pièce soit un enfant, mourant bien entendu, et sauvé in extremis par les bons soins du magnanime Docteur. Lequel personnage indigène n'aura pas même droit à une seule réplique de toute la pièce.

Et même si nous nous attardons un peu plus sur le personnage du Docteur Schweitzer, il brille surtout par son absence dans l'ensemble des deux actes (surtout au deuxième). Finalement, ce sont les personnages secondaires qui parlent de lui et qui font le show. C'est sur eux, tout bien pesé, que repose la pièce et non sur le médecin, duquel on apprend pas grand chose.

Alors, tout bien considéré, permettez-moi de ne pas m'enthousiasmer outre mesure à propos de cette pièce, qui, si elle est plutôt bien écrite quant à la langue, me semble plutôt faible quant à son aspect scénique (c'est beaucoup de parlote et très peu d'action), et bien plus discutable quant au fond qu'il y paraît de prime abord. Toutefois, je vous invite à la lire pour vous en faire votre propre opinion ou, à défaut, à lire d'autres avis très différents du mien avoir d'avoir plusieurs points de vue.
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